Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/195

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Les amis intransigeants de Marie-Antoinette, les absolutistes ne s’affligèrent pas outre mesure de la mort du temporisateur qui ajournait sans cesse la guerre et qui voulait réconcilier la royauté française et la Révolution.

Fersen écrit, le jeudi 8 mars, à Bruxelles : « Le vicomte de Vérac, l’évêque et beaucoup de gens croyaient que cela allait tout changer et tout retarder, occasionner des longueurs. Je ne fus pas de cet avis, je le leur prouvais, et je sais que le baron de Breteuil avait été de mon avis. Je pris alors mon parti d’écrire à la reine mon opinion là-dessus. »

Et le lendemain : « Les généraux ne témoignaient pas le moindre chagrin, mais presque le contraire. Thugut dit au baron qu’il en était bien aise. Dans la ville cela ne faisait aucune sensation : les officiers en étaient même contents. »

Mais, quoique la reine, pour ses desseins de contre-révolution armée, n’eût pas à se louer de son frère, sa disparition subite aggravait encore, si je puis dire, l’inconnu.

En tout cas, le système des Feuillants, qui combinaient avec Léopold un régime de modération et de paix, s’effondrait au dehors par la mort de l’Empereur, comme il s’effondrait au dedans par l’acte d’accusation contre de Lessart.

Acculés, frappés de terreur, Louis XVI et Marie-Antoinette n’avaient plus qu’une ressource : appeler un ministère girondin. Ils s’y résignèrent, et le mois de mars 1792 vit l’avènement gouvernemental de la Gironde. C’était un pas immense de la Révolution.

Quelles que fussent l’étourderie et l’ambition des Girondins, ils représentaient l’esprit révolutionnaire, prêt à dompter au dedans tous les factieux de la noblesse et du clergé, prêt à défier et à vaincre au dehors tous les tyrans conjurés, tous ceux qui menacent la liberté nouvelle, tous ceux aussi qui prétendent la limiter.

Pendant que la royauté traîtresse s’affole et se livre, les volontaires vont par milliers vers la frontière ; ils font, au passage, hommage de leur vie à l’Assemblée, qui suspend un moment ses tumultes et ses querelles pour les acclamer, et, purs de toute intrigue, ignorants de ce qui se mêlait de factice aux cris belliqueux de la Gironde, convaincus de la nécessité et de la sainteté de la guerre révolutionnaire, ils vont combattre, vaincre ou mourir, et en se libérant, libérer le monde.

AVÈNEMENT DE LA GIRONDE

En fait, même à cette date, même en mars 1792, le parti girondin et jacobin n’avait pas la majorité à l’Assemblée législative. Mais les Feuillants, les modérés s’étaient perdus en quelques mois par leur médiocrité, par leur inconsistance, par leur inaptitude à comprendre la Révolution. En ce qui