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Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/253

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« Les citoyens de la section des Gobelins ne se sont pas, ainsi qu’on l’a dit dans cette assemblée, fait délivrer à un bas prix le sucre resserré dans une des propriétés nationales de son arrondissement. On a indiscrètement calomnié une section qui s’est fait un devoir sacré et saint d’obéir à la loi et de la maintenir. (Vifs applaudissements.)

« Nous demandons que la municipalité soit autorisée par vos ordres à vouloir bien surveiller les magasins afin qu’ils ne puissent être enlevés et employés d’une manière coupable, et qu’ils puissent au moins soulager le peuple qui souffre assez depuis très longtemps par la cherté horrible où sont tous les comestibles de première nécessité. » (Applaudissements.)

C’est d’une grande vigueur de ton. Il est vrai que les délégués protestent qu’ils n’ont pas fixé par la force le prix du sucre : mais c’est de la loi même qu’ils attendent la répression de toutes les manœuvres qui, selon eux, haussent le prix des denrées. Ce n’est pas seulement, ce n’est pas surtout à la rareté relative du sucre, résultant des troubles de Saint-Domingue, c’est aux combinaisons des grands marchands qu’ils attribuent cette hausse. Et ils accusent nettement la bourgeoisie d’avoir employé à des achats de spéculation et d’accaparement, les assignats qu’elle a reçus en remboursement de ses charges de judicature. Ce n’est donc pas précisément contre l’ancien régime que protestent les pétitionnaires, c’est contre l’abus que les classes nouvelles, les classes bourgeoises, font des moyens d’action nouveaux créés par la Révolution. Ainsi, c’est à l’intérieur de la Révolution même que se dessine un antagonisme de classe, entre les consommateurs et les marchands, entre les prolétaires ou artisans d’un côté, et la bourgeoisie riche de l’autre. Ce qui est remarquable aussi, c’est l’invocation précise de deux articles de la Déclaration des Droits de l’Homme pour combattre des manœuvres commerciales et capitalistes.

Les pétitionnaires n’entendent pas la liberté, telle que les Droits de l’Homme la garantissent, comme une faculté indéterminée, et le jeu des forces économiques a pour limite l’intérêt d’autrui. Déjà, dans la pétition des ouvriers charpentiers, en juin 1791, une première application avait été faite aux relations économiques et aux phénomènes sociaux de la Déclaration des Droits. Dans la pensée du peuple, le mot liberté reçoit un sens plein et concret qui est tout à l’opposé du laissez-passer et du laissez-faire.

Les pétitionnaires ne demandent pas précisément qu’une tarification légale des prix des denrées intervienne, ils ne paraissent pas avoir songé à une loi du maximum ; mais ils sont évidemment sur le chemin, car leur conclusion, assez vague dans les termes, soit par manque de précision de la pensée même, soit par prudence, ne peut avoir qu’un sens. Il faut que la municipalité surveille les magasins pour empêcher que des quantités considérables de sucre soient soustraites à la vente, immobilisées ou cachées. La municipalité fera défense aux gros marchands de dissimuler le sucre et les