Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/252

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plus particulièrement les indigents. Cette masse précieuse de citoyens, digne de votre sollicitude paternelle, n’a-t-elle fait tant de sacrifices que pour voir sa subsistance dévorée par des traîtres ? Ne serait-elle armée que pour protéger de vils accapareurs qui appellent la force publique pour défendre leurs brigandages ? Qu’ils ne viennent pas nous dire que la dévastation de nos îles est la seule cause de disette des denrées coloniales. C’est leur agiotage insatiable qui renferme les trésors de l’abondance, pour ne nous montrer que les squelettes hideux de la disette. Ce fantôme alarmant disparaîtra à vos yeux si vous faites ouvrir ces magasins immenses et clandestins établis en cette ville, dans les églises, les jeux de paume et autres lieux publics, à Saint-Denis, au Pecq, à Saint-Germain et autres villes avoisinant la capitale. Étendez vos regards paternels jusqu’au Havre, Rouen et Orléans, et vous acquerrez la certitude réelle que nous avons tous, que nos magasins renferment au moins pour quatre années de provisions de toutes espèces. Si vous différez de vous en assurer, vous devez craindre une disette réelle, et les transports journaliers de ces denrées aux pays qui nous les ont expédiées nous offrent maintenant l’idée monstrueuse du retour des eaux à leur source. Nous entendons ces vils accapareurs et leurs infâmes capitalistes nous objecter que la loi constitutionnelle de l’État établit la liberté du commerce. Peut-il exister une loi destructive de la loi fondamentale qui dit, article 4 des Droits de l’Homme : La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », et article 6 : « La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à autrui ? »

« Or, nous vous le demandons, législateurs, nos représentants, n’est-ce pas nuire à autrui d’accaparer les denrées de première nécessité pour ne les vendre qu’au prix de l’or ? (Applaudissements dans les tribunes.) Et n’est-ce pas une chose criminelle et nuisible à la société de consentir à un emploi désastreux des remboursements faits mal à propos et injustement appliqués ?

« Quel scandale en effet de voir ces anciens magistrats de l’Assemblée constituante (Cette allusion à l’ancien député feuillant Dandré, qui avait de vastes magasins de denrées coloniales, est applaudie un peu par l’Assemblée et beaucoup par les tribunes), un de nos anciens représentants, coopérateur de la loi que nous venons invoquer, se déclarer sans pudeur aujourd’hui le chef des accapareurs et retenir la liberté du commerce dans les serres de ses misérables associés ! La suppression des entrées promettait un avenir heureux, elle nous découvrait la terre promise ; nous comptions y toucher : une tempête, soulevée par l’égoïsme et la cupidité, semble nous en écarter ; vous la dissiperez. Voilà le motif de nos réclamations. La fermeté des mesures que vous avez déjà prises contre les ennemis du dehors ne permet pas de douter que vous saurez distinguer et punir ceux du dedans. Nous vous les dénonçons comme les seuls que nous ayons à craindre !