Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/308

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Devant l’émigration persistante du numéraire, il a de pittoresques colères :

« Est-ce que ces jean-foutres-là (les émigrés), avant de quitter, auraient envoyé une pierre d’aimant dans tous les pays étrangers et sur la frontière pour attirer le reste de notre numéraire ? Ah ! foutre, il y a de la magie là-dedans ou c’est le pot au noir dont on nous a barbouillé le nez. »

Mais voici la fin de l’Assemblée constituante qui approche :

« L’Assemblée nationale elle-même ne va plus qu’en clopinant. C’est une vieille garce, honnête femme autrefois, mais qui pour avoir trop lontemps séjourné dans la capitale, a fini par donner dans le travers et s’est prostituée pour de l’argent au pouvoir exécutif et aux aristocrates ; mais heureusement, foutre, elle touche à sa fin, et nous voyons venir le jour de son enterrement avec autant de plaisir qu’un enfant de famille en a à celui d’un vieux tuteur rechigné qui faisait le tourment de sa vie. »

Mais si l’Assemblée constituante, en revisant la Constitution dans un sens favorable au pouvoir exécutif, en aggravant les conditions d’électorat et d’éligibilité, en limitant la liberté de la presse et le droit de pétition a indisposé le parti populaire, le Père Duchesne est inquiet aussi de ce que fera « sa fille », la Législative élevée au régime du marc d’argent :

« La fameuse loi du marc d’argent, s’écrie-t-il en son numéro 58, nous empêchera toujours d’avoir des députés aussi habiles et aussi honnêtes gens que ceux-là (Robespierre et Pétion) ; si elle eût été en usage avant les États généraux, il y a gros à parier que les trois quarts des braves bougres qui ont foutu à quia la noblesse et le clergé n’auraient pas été élus, et nous serions plus que jamais sous les griffes du despotisme.

« Empêchons donc s’il est possible que cette loi odieuse ne subsiste plus longtemps. Je ne veux pas dire pour cela que nous devrions nous révolter contre les décrets de l’Assemblée nationale, car quand bien même il y en aurait d’injustes, il vaut encore mieux nous y soumettre que de foutre tout en discorde et d’amener la guerre civile ; mais, foutre, il faut crier si fort, si fort, que nos cris retentissent jusqu’au fond du manège (où siégeait l’Assemblée) ; ils feront cabrer, je m’y attends bien, une grande partie des aristocrates et des faux patriotes, qui sont de véritables chevaux ou plutôt des mules d’Auvergne lorsqu’on parle du peuple et de la liberté ; mais aussi, foutre, toutes les oreilles ne sont pas bouchées, et au milieu de ces gredins-là, il y a encore de braves gens qui prendront notre parti. Ne vous avions-nous pas recommandé de foutre à bas les vieilles idoles, et de relever le pauvre peuple qui était depuis tant de siècles dans la boue jusqu’aux épaules ? Vous avez détruit l’aristocratie des nobles et du clergé, et vous en établissez une mille fois plus odieuse, celle de la richesse. »

Soudain éclate la nouvelle de la fuite du roi. Hébert qui suivait au jour le jour les impressions populaires et n’avait pas la prévoyance aiguë de