Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/328

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dresserions procès-verbal. Leurs officiers municipaux nous ont déclaré qu’ils avaient été forcés de les suivre d’après les menaces qui leur avaient été faites. Nous les avons engagés à nous aider à retenir les perturbateurs et à favoriser le bon ordre dans le marché. Nous avons fait garder la halle au blé par notre garde et gendarmerie nationales. Aussitôt les citoyens de Sainte-Marguerite et autres paroisses se sont emparés de cette halle au blé ; ils nous ont contraints, à différentes reprises et malgré notre refus, de fixer le prix du blé à 19, 20 et 21 livres ; l’avoine à 10 et 11 livres, et la vesse à 9 livres, en nous menaçant, si nous ne le fixions pas, de nous faire un mauvais parti ; ils nous ont même certifié que leur intention était que ces prix restassent jusqu’au premier août prochain, et qu’ils ne variassent en aucune manière, sans quoi ils reviendraient jusqu’au nombre de quinze mille. Forcés de céder à leurs menaces, nous avons été contraints d’acquiescer.

« Dès que la halle a été vide, les citoyens armés nous ont conduits et forcés de les accompagner dans deux maisons différentes, chez les sieurs Raymond et Perrier, citoyens de cette ville, où ils nous ont contraints de faire distribuer le grain qui était dans leurs greniers. Obligés d’agir à leur gré, on leur en a délivré, en notre présence, cent boisseaux à 3 livres 10 sols (ce qui n’est même pas leur taxation du matin). Ensuite, ils se sont retirés et ont pris chacun le chemin de leurs paroisses. »

« Ce jour-là, messieurs, continue Tardiveau, la municipalité de Conches prétendait avoir été forcée de se prêter à tout ce qu’on avait exigé d’elle ; mais, trois jours après, nous la retrouvons à une demi-lieue, taxant encore non plus les grains, mais les fers, le bois et le charbon… La paroisse de la Neuve-Lyre, qui l’accompagnait, demanda au maître de forges deux canons de six livres de balles, pour prix de la protection qu’elle venait de lui accorder.

« Le 1er mars, l’attroupement, comme nous l’avons vu, n’était encore que de quatre cents hommes ; il était de cinq mille, le 3 mars, aux forges de Beaudoin ; le 6, à Verneuil, il était de huit mille. Le plan de campagne était tracé ; on annonçait qu’à Évreux il se trouverait cinq mille individus, et qu’après avoir soumis la ville à ce qu’ils appelaient leur volonté, le même attroupement passerait dans Seine-et-Oise où, à la même époque, il y avait de pareils rassemblements… Les mêmes excès avaient lieu, à la même époque, dans les départements voisins d’Eure-et-Loir, de l’Oise, de Seine-et-Oise et de la Seine-Inférieure. »

Évidemment, les autorités électives secondent ou tolèrent, en bien des points, l’action des paysans. Et cela seul prouverait qu’il ne s’agit point ici de ceux que les paysans eux-mêmes appelaient « les brigands », c’est-à-dire, les mendiants et les vagabonds. C’est, pour ainsi dire, toute la population rurale, à l’exception des grands propriétaires bourgeois et des gros fermiers, qui est en mouvement. Il y a là comme une mise en œuvre de ces