Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/356

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protesta contre toute idée de loi agraire avec une insistance qui témoigne qu’il n’était pas tout à fait sans inquiétude.

Évidemment, il ne craignait pas que la loi agraire devînt le programme de la Révolution, mais il craignait que cette idée d’une nouvelle répartition de la propriété foncière fît assez de progrès dans les esprits pour que la contre-révolution en pût tirer des moyens de panique et pour que la Révolution elle-même fût obligée de réprimer un mouvement qu’elle n’aurait pas prévenu assez tôt.

Il distingue, dans le mouvement révolutionnaire, deux classes d’hommes : il y a d’un côté les riches, les possédants, qui se laissent bien vite gagner par l’égoïsme et qui ont peur de l’égalité. Il y a ensuite le peuple généreux et bon. C’est donc sur le peuple qu’il faut s’appuyer pour défendre et compléter la Révolution. Et la Révolution reconnaîtra ce service par l’égalité des droits politiques assurés à tous, par de bonnes lois d’assistance et d’assurance, par des mesures rigoureuses contre les accapareurs et agioteurs : mais elle ne touchera pas et ne laissera pas toucher à la propriété. C’est dans le no 4 de son journal, le Défenseur de la Constitution, que Robespierre développa avec un soin particulier sa conception sociale.

« Depuis le boutiquier aisé jusqu’au superbe patricien, depuis l’avocat jusqu’à l’ancien duc et pair, presque tous semblent vouloir conserver le privilège de mépriser l’humanité sous le nom de peuple. Ils aiment mieux avoir des maîtres que de voir multiplier leurs égaux ; servir, pour opprimer en sous-ordre, leur paraît une plus belle destinée, que la liberté partagée avec leurs concitoyens. Que leur importent et la dignité de l’homme et la gloire de la patrie et le bonheur des races futures ? Que l’univers périsse ou que le genre humain soit malheureux pendant la durée des siècles, pourvu qu’ils puissent être honores sans vertus, illustres sans talents, et que, chaque jour, leurs richesses puissent croître avec leur corruption et avec la misère publique. Allez prêcher le culte de la liberté à ces spéculateurs avides, qui ne connaissent que les autels de Plutus. Tout ce qui les intéresse, c’est de savoir en quelle proportion le système actuel de nos finances peut accroître, à chaque instant du jour, les intérêts de leurs capitaux. Ce service même que la Révolution a rendu à leur cupidité ne peut les réconcilier avec elle. Il fallait qu’elle se bornât précisément à augmenter leur fortune ; ils ne lui pardonnent pas d’avoir répandu parmi nous quelques principes de philosophie et donné quelque élan aux caractères généreux.

« Tout ce qu’ils connaissent de la politique nouvelle, c’est que tout était perdu dès le moment où Paris eut pris la Bastille, quoique le peuple tout puissant eût au même instant repris une attitude paisible, si un marquis (Lafayette) n’était venu instituer un état-major et une corporation militaire brillante d’épaulettes, à la place de la garde innombrable des citoyens armés ; c’est que c’est à ce héros qu’ils doivent la paix de leur comptoir, et la France