Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/378

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ports avec les autres hommes, on peut enseigner ce qui est bon, ce qui est juste, et le leur faire aimer ? »

Ainsi, comme la Constitution dérive des Droits de l’Homme, et, tout en faisant une place administrative à l’Église, ne se subordonne point à son dogme, les écoles de la Révolution, dans le plan de la Constituante, font une place dans le programme à la religion, mais ne lui empruntent pas les règles de la vie, les principes de la morale.

Au reste, le souci dominant de Talleyrand est d’éveiller dans les esprits dès l’école même, le sens de la liberté, l’initiative. Il demande que jusque dans la discipline les enfants interviennent eux-mêmes, par des censeurs qu’ils auront élus, et qu’ils fassent ainsi, aux premières lueurs de la raison, l’essai du régime représentatif, de la libre soumission à la loi consentie. Et sa méthode générale d’instruction sera une méthode de liberté. D’abord il veut affranchir les esprits du poids mort de l’érudition vaine : l’homme ne doit pas s’absorber et se perdre dans le passé ; la grande et sympathique curiosité qui ranime tout le détail de la vie humaine au plus profond des siècles lointains n’est point nécessaire, et peut-être cette curiosité romantique ne pouvait-elle s’éveiller sans péril qu’au lendemain d’une révolution décisive, quand les hommes avaient loisir de se détourner de l’action pour se donner au rêve. On dirait que Talleyrand veut concentrer sous le moindre volume et le moindre poids les résultats du séculaire effort de l’esprit humain, afin que la génération combattante qui se lève ne soit pas surchargée d’un inutile fardeau. Il ne s’agit point de borner les vues de l’esprit ou d’en contrarier la marche. C’est au contraire pour qu’il puisse librement, et comme un soldat allègre, parcourir l’univers, qu’il convient de ne pas l’écraser d’un bagage de science morte :

« Vous venez de recouvrer les vastes dépôts des connaissances humaines. Cette multitude de livres perdus dans tant de monastères, mais, nous devons le dire, si savamment employés dans quelques-uns, ne seront point entre vos mains une conquête stérile ; pour cela, non seulement vous faciliterez l’accès des bons ouvrages, non seulement vous abrégerez les recherches à ceux pour qui le temps est le seul patrimoine, mais vous hâterez aussi l’anéantissement si désirable de cette fausse et funeste opulence sous laquelle finirait par succomber l’esprit humain. Une foule d’ouvrages, intéressants lorsqu’ils parurent, ne doivent être regardés maintenant que comme les efforts, les tâtonnements de l’esprit de l’homme se débattant dans la recherche de la solution d’un problème ; par une dernière combinaison le problème se résout, la solution seule reste, et dès lors toutes les fausses combinaisons antérieures doivent disparaître ; ce sont les ratures nombreuses d’un ouvrage qui ne doivent plus importuner les yeux quand l’ouvrage est fini. »

Et Talleyrand espère que lorsque « des simplifications savantes auront réduit insensiblement à un petit nombre de volumes nécessaires ce que les travaux de chaque siècle ont produit de plus intéressant », une sorte de journal