Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/402

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ment populaire beaucoup plus étendu et beaucoup plus élevé que celui que prévoyait le rapport de Talleyrand.

Dans le projet de celui-ci il n’y avait qu’un degré d’enseignement populaire, et il était très humble. C’est à peine si on doit y apprendre à lire, à écrire, à compter un peu, et l’enfant ne doit y séjourner que deux années : il y entrera entre six et sept ans ; il en sortira entre huit et neuf ans. De tous ces enfants sortant à huit ou neuf ans de l’école primaire, quelques-uns à peine se dirigeront vers les écoles du district qui leur font suite et qui sont en réalité des écoles d’enseignement secondaire, comprenant l’étude des langues anciennes et où la bourgeoisie seule accédera. Talleyrand le dit expressément.

« Au delà des premières écoles seront établies, dans chaque district, des écoles moyennes ouvertes à tout le monde, mais destinées néanmoins, par la nature des choses, à un petit nombre seulement d’entre les élèves des écoles primaires.

« On sait en effet, qu’au sortir de la première instruction, qui est la portion commune du patrimoine que la Société répartit à tous, le grand nombre, entraîné par la loi du besoin, doit prendre sa direction vers un état promptement primitif ; que ceux qui sont appelés par la nature à des professions mécaniques s’empresseront (sauf quelques exceptions) à retourner dans la maison paternelle ou à se former dans les ateliers ; et que ce serait une véritable folie, une bienfaisance cruelle, de vouloir faire parcourir à tous les divers degrés d’une instruction inutile et par conséquent nuisible au plus grand nombre. »

Ainsi, dans le plan de la Constituante, quand les enfants, de six à huit ans auront appris à lire et à écrire, la Société ne s’occupera plus d’eux : elle leur a mis en main un instrument d’éducation bien élémentaire et bien débile, qui bientôt sans doute s’usera ou se brisera avant d’avoir pu servir. Elle ne croit pas possible d’aller au delà, et de retarder davantage le moment impatiemment attendu où la famille paysanne pourra disposer de l’enfant pour le service de la ferme, et où la famille ouvrière pourra, soit dans les petits ateliers domestiques, soit dans les manufactures, plier l’enfant au travail industriel.

Le plan de Talleyrand, en même temps qu’il nous révèle les faibles ambitions de la Constituante pour l’enseignement du peuple, nous apprend que déjà l’impatience de la production industrielle et l’égoïsme avide des pères et des mères guettaient l’enfant dès sa huitième année et le réclamaient sans doute impérieusement.

Le Comité de la Législative, représenté par Condorcet, a plus d’ambition pour l’enfance pauvre, et particulièrement pour l’enfance ouvrière. Le projet de Condorcet prévoit dans l’enseignement populaire deux degrés : il y a d’abord une école primaire, et qu’il appelle de ce nom ; il y a ensuite, sous le