Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/408

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lorsque des hommes libres trouveront auprès d’eux les moyens de briser la dernière et la plus honteuse de leurs chaînes. »

Mais, au-dessus même des écoles primaires et secondaires constituant l’enseignement populaire proprement dit, Condorcet prévoit encore la perpétuelle communication de la science et de la vie. En chaque département il y aura ce que Condorcet appelle un institut, et qui correspond à ce que nous appelons aujourd’hui un lycée. Et là aussi, une fois par mois, les professeurs devront donner une leçon publique ; bien mieux, les salles de classes seront ouvertes non seulement aux élèves, mais à des auditeurs bénévoles voulant compléter leur éducation. Tous les citoyens doivent être ainsi perpétuellement en contact avec la vérité ; et comme les citoyens, les soldats doivent cultiver leur raison et leur liberté. « Dans les villes de garnison on pourra charger les professeurs d’art militaire d’ouvrir pour les soldats une conférence hebdomadaire dont le principal objet sera l’explication des lois et des règlements militaires, le soin de leur en développer l’esprit et les motifs, car l’obéissance du soldat à la discipline ne doit plus se distinguer de la soumission du citoyen à la loi ; elle doit être également éclairée, et commandée par la raison et par l’amour de la patrie avant de l’être par la force ou par la crainte de la peine. »

Enfin, et c’est le dernier trait par lequel le plan de Condorcet diffère de celui de Talleyrand, tandis que Talleyrand concentrait en son Institut national ramassé à Paris toute la haute science et tout le haut enseignement, Condorcet, tout en instituant au sommet sa Société nationale des sciences et des arts, prévoit, sous le nom de lycées, plusieurs centres, plusieurs foyers de ce que nous appelons aujourd’hui l’enseignement supérieur, Facultés ou Universités. Ainsi, de Douai, de Strasbourg, de Dijon, de Montpellier, de Toulouse, de Poitiers, de Rennes, de Clermont-Ferrand comme de Paris une haute et libre science rayonnera sur toute la France ; de la modeste clarté du hameau à la grande lumière centrale, des foyers intermédiaires de recherche et de savoir seront distribués, et tout esprit sera toujours sur le trajet d’un rayon.

Voilà le plan de Condorcet et de la Législative, plus vaste, plus populaire, plus humain que celui de Talleyrand et de la Constituante. Sans doute, Condorcet ne prévoit même pas un ordre social pleinement égalitaire et communiste où le développement de chaque intelligence sera mesuré non par ses facultés sociales de richesse, mais par ses facultés naturelles de compréhension et d’élan, et les pensions qui permettent aux mieux doués de s’élever aux degrés les plus hauts de l’enseignement ne corrigent pas cette inégalité sociale fondamentale. Condorcet ne songe pas à la faire disparaître. Mais il croit qu’une large diffusion de lumière atténuera tout au moins les inégalités.

« Il importe à la prospérité publique de donner aux classes pauvres, qui sont les plus nombreuses, le moyen de développer leurs talents, c’est un moyen non seulement d’assurer à la patrie plus de citoyens en état de servir, aux