Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

modérés essayaient de faire de la Constitution de 1791, si largement monarchique, une sorte de livre sacré.

Mais bientôt des difficultés pressantes et graves obligèrent la Législative à renoncer à ces cérémonies puériles et à faire face au péril. D’abord deux nouvelles sinistres lui parviennent, l’une d’Avignon, l’autre de Saint-Domingue.

À Avignon, un secrétaire de la mairie patriote, Lescuyer, est assassiné dans une église par la populace catholique fanatisée. Les patriotes crièrent vengeance, mais ils commirent la faute de laisser un bandit, Jourdan coupe-tête, prendre la direction. Celui-ci, aidé par des hommes ivres de colère et de sang, consomma les effroyables massacres de la Glacière.

À Saint-Domingue, les mulâtres et les noirs, exaspérés par la politique décevante de la Constituante, venaient de se soulever, et en une nuit, avaient incendié, pillé, massacré.

Mais quelque violents et douloureux que fussent ces événements, ils n’étaient point, pour ainsi dire, au cœur même de la Révolution. La révolte des colonies était lointaine ; le comtat venaissin était à peine annexé de la veille. Ce qui était plus inquiétant, sinon plus triste, c’est que partout la contre-révolution s’agitait, se ranimait à l’espérance. C’est que les émigrés, rassemblés en un petit corps de troupe sur nos frontières, multipliaient les excitations et les défis : c’est qu’en France même les prêtres réfractaires animaient les esprits, et qu’en Vendée notamment, les premiers feux de la guerre civile s’allumaient.

Mais s’il y avait partout des difficultés ou même des périls, la force de la Révolution restait immense, et il aurait suffi à la Législative d’une politique de fermeté et de sang-froid pour assurer le fonctionnement de l’ordre révolutionnaire. Mais c’est précisément le sang-froid qui faisait défaut à cette assemblée inexpérimentée et inconsistante. Tout contribuait à la déconcerter. D’abord, la disparition de la Constituante, de la grande assemblée, qui, si souvent, au 20 juin, au 14 juillet, puis au 21 juin 1792, avait sauvé la Révolution, encourageait les espérances factieuses.

Il semblait aux ennemis de la liberté que l’immense force révolutionnaire, qui les avait vaincus, n’était plus là, et que les destins allaient changer.

L’impuissance de la Constituante elle-même, après Varennes, sa soumission, en quelque sorte superstitieuse, à la royauté provocatrice et traîtresse, avait suggéré l’idée que la monarchie était intangible, qu’elle était la seule force durable et inviolable et qu’on ne risquait rien à se rallier autour d’elle.

Les persécutions, dirigées, à la suite des événements du Champ-de-Mars, contre les patriotes les plus ardents, poursuivis comme Danton jusque dans les assemblées électorales, exaltaient encore la confiance, l’esprit de sarcasme et de provocation des réacteurs.

L’heure semblait venue où la Révolution, lassée et comme effrayée de son