Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/49

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propre mouvement, cessait de frapper ses ennemis et se frappait elle-même.

Avec de la prudence et de l’esprit de suite, la Législative aurait permis à l’énergie révolutionnaire de se reformer. Mais la Législative, sans passé, sans prestige, n’avait pas confiance en elle-même : et d’emblée elle crut qu’elle devait crier très fort, prodiguer les gestes de menace, pour se faire craindre. Les orateurs, jeunes, brillants, passionnés, qui abondaient en elle, les Grangeneuve, les Isnard, les Guadet, même Vergniaud, se plaisant à des émotions oratoires, lui communiquaient une ardeur désordonnée, fiévreuse, un peu factice et une sorte de fanatisme superficiel.

Entre les motions éblouissantes des Girondins et les conseils de modération débile et sournoise des Feuillants, l’Assemblée oscillait sans cesse et elle n’avait ni la suite dans la modération, ni la suite dans la vigueur.

Toute l’Assemblée avait je ne sais quoi de superficiel et d’artificiel. Elle ne portait point en elle la forte, saine et droite pensée du peuple, écarté du scrutin par la loi des citoyens passifs. Et d’autre part, la bourgeoisie dirigeante, très déconcertée et divisée au lendemain de Varennes, ne lui avait donné qu’un mandat trouble et incohérent. Elle était donc comme suspendue dans le vide et à la merci des souffles errants, des motions improvisées ou des intrigues savantes. Et la tentation devait venir naturellement aux habiles, à ceux qui se croyaient « des hommes d’État » de mépriser un peu cette Assemblée imprévoyante, et de la conduire par des raisons incomplètes vers des buts qu’on ne lui révélait qu’à demi.

C’est ainsi que soudain, en une séance, en un discours, Brissot fit surgir la question de la guerre. Or, c’était en partie, une question factice et qui masquait des desseins inavoués.

Pour nous, aujourd’hui, il n’y a pas de plus troublant problème. Il peut sans doute paraître puéril de refaire l’histoire après coup et de se demander ce qu’il fût advenu de la Révolution, de la France, de l’Europe, de l’univers, si la France révolutionnaire avait pu éviter la guerre.

Mais d’autre part, cette grande aventure de la guerre a fait tant de mal à notre pays et à la liberté, elle a si violemment déchaîné, dans la France de la philosophie et des droits de l’homme, les instincts brutaux, elle a si bien préparé la banqueroute de la Révolution en césarisme, que nous sommes obligés de nous demander avec angoisse : Cette guerre de la France contre l’Europe était-elle vraiment nécessaire ? Était-elle vraiment commandée par les dispositions des puissances étrangères et par l’état de notre propre pays ? Enfin, pour dire toute notre pensée, il nous répugnerait beaucoup de dégrader ou de méconnaître le patriotisme fervent, l’enthousiasme sacré qui se mêla à la grande aventure guerrière ; mais si à l’origine même de cette aventure héroïque nous démêlons une part d’intrigues, de roueries, de mensonges, c’est notre devoir d’avertir les générations nouvelles.

Je crois pouvoir dire, après avoir bien étudié les documents, que, pour