Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/50

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une bonne part, la guerre a été machinée. La Gironde y a conduit la France par tant d’artifices, qu’on n’a pas le droit de dire que la guerre était vraiment inévitable.

C’est le 21 octobre 1791, à propos du débat sur les émigrants, que Brissot monta à la tribune. Avant qu’il eût parlé, il fut salué par les plus vifs applaudissements. Évidemment les initiés savaient quel coup il allait porter, quel horizon « plein d’éclairs » il allait ouvrir ; et avant même que le machiniste fît jouer le décor, ils exaltaient le sentiment de l’Assemblée.

Il commença par déclarer qu’il serait à la fois injuste et inutile de frapper la foule obscure des émigrants : Ce sont les chefs de l’émigration, les fonctionnaires publics ayant déserté leur poste ; ce sont les princes, les frères du roi qui doivent être sommés de rentrer, et s’ils désobéissent, déchus de leurs titres et droits.

Par là Brissot se flatte d’arrêter l’émigration, de frapper à la tête la contre-révolution.

Prétention étrange ! Car les princes français, décidés à la guerre à mort contre la Révolution, méprisaient tous les décrets de déchéance et de confiscation : que leur importaient les décrets des « rebelles » ? Et quant à leurs biens, ils les avaient déjà réalisés en partie, et, vainqueurs, ils les retrouveraient sans peine.

Brissot s’exalte pourtant, comme s’il y avait là une vue audacieuse et un moyen décisif de salut :

« Vous devez vous élever, Messieurs, à la hauteur de la Révolution. Vous devez faire respecter la Constitution par les rebelles, et surtout par leurs chefs, ou elle tombera par le mépris. Le néant est là : il attend ou la noblesse ou la Constitution : choisissez. (Vifs applaudissements.) Ce décret va vous juger. Ils vous croient timides, effrayés par l’idée de frapper sur des individus que la précédente Assemblée a épargnés. Qu’ils apprennent enfin que vous avez le secret de votre force…

« Craindriez-vous d’être imprudents en frappant ce coup ? C’est la prudence même qui vous l’ordonne. Tous vos maux, toutes les calamités qui désolent la France, l’anarchie que sèment sans cesse des mécontents, la disparition de votre numéraire, la continuité des émigrations, tout part du foyer de rébellion établi dans le Brabant, et dirigé par les princes français. Éteignez ce foyer en poursuivant ceux qui le fomentent, en vous attachant opiniâtrement à eux, à eux seuls, et les calamités disparaîtront. »

Quel enfantillage ou quelle manœuvre de prétendre que toute l’agitation contre-révolutionnaire tient au rassemblement de quelques milliers d’émigrés ! Quel enfantillage ou quelle manœuvre de prétendre que, pour arrêter toute cette agitation, il suffira de proférer contre les princes, chefs de l’émigration, des menaces que les législateurs ne pouvaient mettre à exécution !

Mais, soudain, avouant lui-même la futilité de ces mesures, Brissot met