Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/509

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résisté à temps et d’avoir laissé se créer « le danger de la patrie ». Dans le numéro 11 du Défenseur de la Constitution, écrit dans les tout premiers jours d’août, il dit :

« Allons jusqu’à la racine du mal. Beaucoup de gens croient la trouver exclusivement dans ce qu’on appelle le pouvoir exécutif ; ils demandent ou la déchéance ou la suspension du roi, et pensent qu’à cette disposition seule est attachée la destinée de l’État. Ils sont bien loin d’avoir une idée complète de notre véritable situation.

« La principale cause de nos maux est à la fois dans le pouvoir exécutif et dans le législatif, dans le pouvoir exécutif qui veut perdre l’État et dans la législature qui ne peut pas ou qui ne veut pas le sauver… Le bonheur de la France était réellement entre les mains de ses représentants… Il n’y a pas une mesure nécessaire au salut de l’État qui ne soit avouée par le texte même de la Constitution. Il suffit de vouloir l’interpréter et le maintenir de bonne foi.

« Changez, tant qu’il vous plaira, le chef du pouvoir exécutif : si vous vous bornez là, vous n’aurez rien fait pour la patrie. Il n’y a qu’un peuple esclave dont les destinées soient attachées à un individu ou à une famille. Est-ce bien Louis XVI qui règne ? Non, aujourd’hui, comme toujours, et plus que jamais, ce sont tous les intrigants qui s’emparent de lui tour à tour. Dépouillé de la confiance publique qui seule fait la force des rois, il n’est plus rien par lui-même.

« La royauté n’est plus aujourd’hui que la proie de tous les ambitieux qui en ont partagé les dépouilles. Vos véritables rois ce sont vos généraux, et peut-être ceux des despotes ligués contre vous ; ce sont tous les fripons coalisés pour asservir le peuple français. La destitution, la suspension de Louis XVI est donc une mesure insuffisante pour tarir la source de nos maux. Qu’importe que le fantôme appelé roi ait disparu si le despotisme reste ? Louis XVI étant déchu, en quelles mains passera l’autorité royale ? Sera-ce dans celles d’un régent ? d’un autre roi ou d’un conseil ? Qu’aura gagné la liberté, si l’intrigue et l’ambition tiennent encore les rênes du gouvernement ? Et quel garant aurai-je du contraire si l’étendue du pouvoir exécutif est toujours la même ?

« Le pouvoir exécutif sera-t-il exercé par le Corps législatif ? Je ne vois dans cette confusion de tous les pouvoirs que le plus insupportable de tous les despotismes. Que le despotisme ait une seule tête ou qu’il en ait sept cents, c’est toujours le despotisme. Je ne connais rien d’aussi effrayant que l’idée d’un pouvoir illimité remis à une assemblée nombreuse qui est au-dessus des lois. »

Donc, la simple suspension ou même la simple déchéance ne signifient rien et ne remédient à rien. Elles ne modifient pas la nature même du pouvoir exécutif, si la royauté, avec un autre titulaire, demeure. Et si c’est une