Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/553

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Le 10 août, le ministère avait été constitué sous le nom de Conseil exécutif provisoire. Sur la proposition d’Isnard, toujours ami des manifestations un peu théâtrales, l’Assemblée renonçant au mode d’élection individuelle, avait nommé en bloc Roland, Clavière et Servan, les trois ministres girondins que le roi avait congédiés. Mais la Gironde ne pouvait recueillir seule le bénéfice d’un mouvement auquel elle n’avait participé que mollement et par intermittence. L’Assemblée comprit qu’elle n’aurait quelque action sur le peuple révolutionnaire, et qu’elle ne pouvait satisfaire la Commune de Paris, qu’en appelant aux responsabilités du pouvoir un homme de la Révolution. Et Danton fut élu ministre de la justice par 222 voix sur 284 votants. Monge était appelé à la marine et Lebrun aux affaires étrangères.

Danton n’avait pas pris part de sa personne à l’assaut donné aux Tuileries, mais pendant la nuit, il avait été mêlé activement aux préparatifs, prêt à porter les responsabilités terribles que pour les hautes têtes de la Révolution recelait cette journée hasardeuse. Vainqueur avec le peuple, il eut d’emblée des pensées généreuses et clémentes. Belles furent ses premières paroles à la Législative, le 11 août :

« Les événements qui viennent d’arriver à Paris ont prouvé qu’il n’y avait point de composition avec les oppresseurs du peuple ; la nation française était entourée de nouveaux complots ; le peuple a déployé toute son énergie ; l’Assemblée nationale l’a secondé, et les tyrans ont disparu ; mais maintenant c’est moi qui prends devant vous l’engagement de périr pour arracher aux vengeances populaires, trop prolongées, ces mêmes hommes (les Suisses) qui ont trouvé un refuge dans votre Assemblée. (Vifs applaudissements.) Je le disais il y a un instant à la Commune de Paris : là où commence l’action des agents de la nation doit cesser la vengeance populaire. Eh ! Messieurs, nul doute que le peuple ne sente cette grande vérité qu’il ne doit pas souiller son triomphe ! L’assemblée de la Commune a paru pénétrée de ces sentiments, tous ceux qui nous entendent les partagent. Je prends l’engagement de marcher à la tête de ces hommes que le peuple a cru devoir proscrire dans son indignation, mais auxquels il pardonnera, puisqu’il n’a plus rien à craindre de ses tyrans. (Applaudissements réitérés.) »

Louis XVI, le 11 août, avait été conduit avec sa famille au Luxembourg et de là, quelques jours après, au Temple ; il n’était plus qu’un prisonnier.

Mais cette Révolution, qu’à Paris il fallait régler et préserver de la folie sanglante des représailles, il fallait la faire accepter à la France surprise sans doute et déconcertée. Il fallait aussi la faire accepter aux armées, en qui on pouvait craindre que par Lafayette et Lückner l’esprit « constitutionnel » prévalût.

L’Assemblée, pour rallier la France à la Révolution du 10 août, recourut à deux grands moyens. Les papiers trouvés aux Tuileries démontraient la trahison du roi, l’œuvre de corruption de la liste civile. Ils ne révélaient pas