Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/569

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l’Assemblée où ses amis et lui jouèrent un si grand rôle et connurent, comme tous ceux qui agissent, bien des joies et bien des douleurs.

« Ainsi finit, après un an d’existence, cette législature orageuse, sous laquelle l’esprit public fit de si rapides progrès, et la nation française marcha à pas de géant vers la république ; elle sera jugée diversement, selon la diversité des passions, des intérêts et des opinions. Le royalisme verra en elle une assemblée d’ennemis constants de cette idole, lesquels, depuis leur première séance jusqu’au moment de leur séparation, ont sourdement miné le trône qu’ils semblaient respecter avec un scrupule constitutionnel. L’anarchisme la fera passer pour un composé d’hommes corrompus ou timides, qui ont immolé le peuple à la Cour, et la liberté à la Constitution. Le patriotisme pur, mais peu éclairé, qui ne pèse ni les circonstances ni les caractères, la considérera comme une assemblée vacillante et sans principes, qui tour à tour a attaqué la Cour et l’a servilement ménagée, a ébranlé la Constitution et a voulu la maintenir, a favorisé et arrêté les progrès de l’esprit public. Mais le patriote philosophe, le vrai républicain, qui apprécie les efforts d’après les circonstances, qui juge les effets d’après les moyens, comparera ce que l’Assemblée nationale a fait avec ce qu’elle a pu faire, et, sans pallier ses fautes, sans voiler ses erreurs, il prononcera qu’elle a bien mérité de la patrie, puisque si elle a eu besoin d’une seconde révolution pour renverser une Cour conspiratrice, c’est elle qui a provoqué, fomenté et fait éclore cette révolution. »

Et Brissot, après avoir caractérisé l’œuvre politique de la Législative, en résume l’œuvre sociale :

« Au reste, lorsque la postérité passera en revue les actions de cette seconde Assemblée, elle ne verra pas sans reconnaissance qu’elle a renversé une Église inconstitutionnelle bâtie sur les ruines d’un culte national ; qu’elle établi le divorce ; qu’elle a détruit l’odieuse distinction qui existait entre homme blanc et son concitoyen noir ou basané ; qu’elle a ordonné la vente des biens des émigrés par petites parcelles, et le partage des bois communaux par têtes ; qu’elle a abattu la barrière aristocratique élevée entre les Français et les Français par le titre de citoyen actif ; qu’elle a juré de haïr et de combattre les rois et la royauté ; qu’elle a déclaré avec courage et soutenu avec fermeté la guerre contre la maison d’Autriche, l’ennemie cruelle de la liberté de l’Europe et le fléau du genre humain ; enfin, que pressée entre le despotisme qui voulait renaître et l’anarchie qui voulait lui succéder, elle a remis en entier et même considérablement accru le dépôt de la liberté nationale. »

Par la Législative, en effet, la démocratie s’est déliée des innombrables entraves, grossières ou subtiles, dont la Constitution de 1791 la liait, et le peuple, dont elle ne seconda pas toujours nettement, mais dont elle ne contraria pas non plus les mouvements, est bien grandi, à la fin de 1792, en puissance politique et en puissance sociale.