Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/58

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meilleures intentions du monde. Ma sœur est tellement indiscrète, entourée d’intrigants, et surtout dominée par son frère au dehors, qu’il n’y a pas moyen de se parler, ou il faudrait quereller tout le jour. Je vois que l’ambition des gens qui entourent Monsieur, le perdra entièrement ; il a cru dans le premier moment qu’il était tout, et il aura beau faire, jamais il ne jouera ce rôle ; son frère (Louis XVI), aura toujours la confiance et l’avantage sur lui dans tous les partis, par la constance et l’invariabilité de sa conduite. Il est bien malheureux que Monsieur ne soit pas revenu tout de suite, quand nous avons été arrêtés, il aurait suivi alors toujours la marche qu’il avait annoncée : de ne vouloir jamais nous quitter, et il nous aurait épargné beaucoup de peines et de malheurs, qui vont peut-être résulter des sommations que nous allons être forcés de lui faire pour sa rentrée, à laquelle nous sentons bien, que surtout de cette manière, il ne pourra pas consentir.

« Nous gémissons depuis longtemps du nombre des émigrants ; nous en sentons l’inconvénient tant pour l’intérieur du royaume que pour les princes mêmes. Ce qui est affreux, c’est la manière dont on trompe et a trompé tous ces honnêtes gens, à qui il ne restera bientôt que la ressource de la rage et du désespoir.

« Ceux qui ont eu assez de confiance en nous pour nous consulter, ont été arrêtés, ou au moins s’ils ont cru de leur honneur de partir, nous leur avons dit la vérité. Mais que voulez-vous ? Le ton et la manie est, pour ne pas faire nos volontés, de dire que nous ne sommes pas libres (ce qui est bien vrai) ; mais que par conséquent nous ne pouvons pas dire ce que nous pensons et qu’il faut agir à l’inverse… Comme il est pourtant possible qu’ils fassent dans ce moment-ci, des sottises qui perdraient tout, je crois qu’il faut à tout prix les arrêter (les princes) ; et comme j’espère, d’après ce que vos papiers annoncent et la lettre de M. de Mercy, que le Congrès pourra avoir lieu, je crois qu’il faudrait leur envoyer d’ici quelqu’un de sûr qui pût leur montrer le danger et l’extravagance de leur projet : leur montrer en même temps notre véritable position et nos désirs, en leur prouvant que la seule marche à suivre pour nous, est, dans ce moment-ci, de gagner ici la confiance du peuple, que cela est nécessaire, utile même, pour tout projet quelconque ; qu’il faut que pour cela tout marche ensemble et que les puissances ne pouvant pas venir au secours de la France avec de grandes forces pendant l’hiver, il n’y a qu’un Congrès qui puisse rallier et réunir les moyens possibles pour le printemps.

«…L’Espagne avait encore une autre idée : mais que je crois détestable : c’est de laisser entrer les princes avec tous les Français, soutenus seulement par le roi de Suède comme notre allié, et déclarer par un manifeste qu’ils ne viennent pas faire la guerre, mais pour rallier tous les Français à leur parti et se déclarer protecteurs de la vraie liberté française.

« Les grandes puissances fourniraient tout l’argent nécessaire pour cette