Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/59

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opération et resteraient, elles, au dehors, avec un nombre de troupes assez considérable, pour en imposer, mais ne rien faire, pour qu’on ne puisse prendre prétexte d’une invasion et crainte de démembrement. Mais tout cela n’est pas praticable comme cela, et je crois que si l’empereur se dépêche d’annoncer le Congrès, c’est la seule manière convenable et utile de finir tout ceci. Je n’entends point pourquoi vous désirez qu’on relève de suite les ministres et ambassadeurs (accrédités à Paris par les puissances), il me semble que ce Congrès étant censé, au moins dans le premier moment, d’être réuni tant pour les affaires qui intéressent toutes les puissances de l’Europe que pour celles de la France, il n’y a pas de raison à cette prompte retraite, et puis est-on sûr que toutes les puissances en agiront de même et croit-on que l’Angleterre, la Hollande, conduite par elle, et la Prusse même, pour déjouer les autres, ne laisseront pas peut-être leurs ministres ? Alors, il y aurait une désunion dans les opinions de l’Europe qui ne pourrait que nuire à nos affaires. Je peux me tromper ; mais je crois qu’il n’y a qu’un grand accord, au moins en apparence, qui puisse en imposer ici. »

Il est visible qu’il n’y avait point péril immédiat pour la Révolution, qu’elle avait le temps de s’organiser, de se fortifier à l’intérieur, de déjouer les intrigues et les trahisons et peut-être de s’imposer à l’Europe et aux rois par le prestige de sa force, sans se jeter au hasard des guerres.

Quelle imprudence à Brissot et à ses amis, d’animer et de coaliser par leurs défis, par leurs sommations, des souverains aussi incertains et aussi divisés !

Le 4 novembre encore, Fersen écrit de Bruxelles au roi de Suède : « Tout me confirme dans l’opinion que l’intention du cabinet de Vienne est de ne rien faire. Déjà il a, par ses discours, forcé le roi à sanctionner, mis les puissances du Nord, dont il craint l’entente, dans l’impossibilité d’agir. L’empereur vient de recevoir l’ambassadeur de France et les nouvelles lettres de créance qu’il lui a présentées ; il témoigne hautement, à Vienne, le contentement sur la sanction du roi de France, et après m’avoir dit que le seul moyen de venir au secours du roi serait une acceptation de la Constitution, sans y faire aucun changement, il présente cette même acceptation comme une raison pour ne pas s’en mêler. Je sais, en outre, que les arrangements qui avaient été pris pour la marche des troupes viennent d’être annulés, et le comte de Mercy s’explique froidement sur la convocation d’un Congrès. »

« Le prince de Kaunitz n’aime pas la France et verra avec plaisir l’abaissement de cette puissance. L’empereur est faible et se laisse mener par ses ministres, il est d’ailleurs personnellement anglais. L’empressement du roi de Prusse à soutenir le roi les effraye ; ils y voient le projet qu’il a sans doute de s’allier avec la France ; le leur est sans doute de se lier avec l’Angleterre, et quelques passages d’une conversation que le comte de Mercy a eue avec quelqu’un et dont j’ai eu le détail me confirment dans cette opinion. »