Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/60

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Et ce qui ajoute au désarroi, c’est que la Cour de Russie blâme hautement comme une faiblesse, comme une désertion de la cause des souverains, l’acceptation même simulée de la Constitution par Louis XVI : c’est donc exactement le contraire de la tactique recommandée par l’empereur Léopold.

Le baron de Steding, ambassadeur de Suède à Saint-Pétersbourg, écrit au comte de Fersen le 25 octobre (5 novembre) : « Tout ce qui se fait aux Tuileries depuis un mois déroute tout le monde. Les Cours mal intentionnées et indécises en prennent occasion pour excuser leur inaction. Les ennemis de la monarchie applaudissent et les bons sujets du roi sont consternés.

« J’imagine quelquefois que l’intention de la reine est de s’attacher le peuple pour relever l’autorité royale par les mêmes mains qui l’ont détruite… Ce que je vous écris n’est pas uniquement mon sentiment à moi, c’est celui de S. M. l’impératrice (Catherine de Russie) qui a une bonne tête et le jugement très juste. »

Le comte Esterhazy écrit à Fersen de Saint-Pétersbourg le 28 octobre (6 novembre) :

« Nous ne nous étions pas trompés sur le ministère de l’empereur (Léopold). Il a fait du pis qu’il a pu pour nos affaires, et on a mandé ici même, du 15 octobre que le marquis de Noailles (ambassadeur constitutionnel de la France) avait déjà jour pour ses audiences. La conduite de cette Cour-ci (de Russie) est un peu différente. Elle parle hautement, mais n’agit pas encore, et la saison est un bon prétexte puisqu’on a tant retardé. La Suède professe les mêmes sentiments, mais peut-être un désir plus vif d’agir, mais pour que le succès soit sûr, les deux Cours désirent avec ardeur que l’union s’établisse entre les Tuileries et les princes…

« Expliquez-nous le peut-être du roi (Louis XVI). S’il est de bonne foi (en acceptant la Constitution), il se voue à l’avilissement aux yeux de son siècle et de la postérité, et s’il trompe, il en fait trop pour pouvoir être justifié par la nécessité ou par le danger. Je voudrais du moins qu’il prouvât, par une apparence de résistance, qu’il est forcé de tenter les démarches humiliantes que l’on exige de lui. Cela donnerait des armes à ceux qui veulent le servir, même malgré lui, et n’autoriserait pas l’inaction des faibles qui ne demandent qu’un prétexte.

« Je conviens que les bases de la présente Constitution sont si fausses qu’elle ne peut pas aller, mais tant qu’une force majeure ne dictera pas des lois sans égard à tout ce qui a été fait, on en gardera un peu, on détruira une partie, on en changera une autre, et de cet état inerte et incertain il résultera des désordres d’un autre genre qui produiront toujours l’anarchie et les maux qui en sont la conséquence.

« Vous, mon ami, dont, ainsi que moi, le seul désir est le bien de la famille royale, employez tous vos moyens pour prouver que sans accord on ne peut rien faire que du mal. Avant de savoir qui gouvernera la France, mettons