Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/76

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cesse le ressentiment de tous les soutiens de l’ancien régime. Je fortifie leur parti de la cupidité de tous les boutiquiers, de tous les marchands qui soupirent après leur créanciers ou leurs acheteurs émigrés, je le fortifie des craintes de tous les rentiers dont la peur de la banqueroute a si puissamment aidé la Révolution et qui ne voyant que du papier et point de comptes au dedans, et au dehors des préparatifs de guerre, s’effrayent d’une banqueroute. Je le fortifie surtout, ce parti, de la lassitude des gardes nationales parisiennes. Depuis deux ans, j’ai soin de tapoter le tambour du matin au soir, de les tenir autant que possible, hors de leur comptoir, de leur cheminée et de leur lit.

« Au milieu de la plus profonde paix, la face de la capitale est aussi hérissée de baïonnettes depuis deux ans que si Paris était occupé par deux cent mille Autrichiens. Le Parisien, arraché sans cesse de chez lui pour des patrouilles, pour des revues, pour des exercices, lassé d’être transformé en Prussien, commence à préférer son chevet ou son comptoir au corps de garde ; il croit bonnement (pour adoucir le mot) que l’Assemblée nationale n’aurait pu faire ses décrets sans les soixante bataillons, que c’est seulement après la Révolution que finira l’achèvement de sa campagne, plus fatigante que la guerre de sept ans. Quand finira cette Révolution ? Quand commencera la Constitution ? Nous étions moins las dans l’ancien régime. »

Las, lassés, le parti de la lassitude : Desmoulins semble croire que la Révolution n’est plus capable d’effort, et son exposé parut si sombre, si décourageant, que plusieurs Jacobins le blâmèrent : mais nul ne le contredit. Évidemment en cette fin d’année 1791, il y avait un sentiment profond de fatigue et les démocrates se demandaient, Desmoulins comme Marat, si l’énergie révolutionnaire n’était pas épuisée. La même note, défiante et triste, est donnée par le journal de Prudhomme, les Révolutions de Paris. Au moment où se réunissait la Législative, dans le numéro du 1er au 8 octobre, il publie une sorte d’article manifeste :

« Aux patriotes de la seconde Assemblée nationale. »

« Représentants d’un peuple qui n’est point libre encore mais qui n’a pas perdu tout espoir de le devenir, souffrez qu’il vous rappelle vos obligations ; elles sont plus grandes que vous ne pensez. Votre tâche, moins brillante, est plus difficile que celle de vos prédécesseurs, ils n’ont pas tout fait puisqu’ils vous laissent tant de choses à faire. Les dangers qu’ils ont courus étaient moindres que ceux qui vont vous assaillir.

« De leur temps, le despotisme se montrait à découvert. Vos prédécesseurs n’avaient qu’un ennemi à combattre ; bientôt peut-être vous en aurez deux. LE DESPOTISME ET LE PEUPLE.

« Remarquez-vous que déjà la Cour cherche à se coaliser avec le peuple, qui fit toute la force de la première assemblée et qui peut-être servira d’ins-