Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/77

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trument aveugle contre la seconde ? La nation est fatiguée, si vous n’y prenez garde, elle est prête à retourner à ses anciennes habitudes.

« Les esclaves ont plus de bon temps que les hommes libres ; et les rois qui savent leur métier, s’arrangent de manière qu’on se croie plus heureux à l’ombre de la couronne que sous le bonnet de la liberté. C’est à vous à rappeler ces premiers moments d’énergie dont le souvenir seul fait pâlir la Cour. »

Le journal essaie d’animer les nouveaux députés par les menaces les plus terribles et les prophéties les plus sombres : « Si après trois années de gêne et d’appréhensions, de troubles et de misères, le peuple, qui vient de vous remettre en mains ses plus chers intérêts, apprenait que vous faites secrètement cause commune avec le château des Tuileries, s’il venait à s’apercevoir que vous n’êtes aucunement en mesure pour déjouer les coalitions ministérielles et autres, et que vous n’avez servi qu’à donner le temps à nos ennemis d’ourdir tout à leur aise leurs trames sinistres, alors les voies de la justice ordinaire seraient rejetées ou suspendues ; un grand mouvement dont la liberté ne peut plus se passer sera très incessamment imprimé à toute la France. Également, indignement trompé par tous les pouvoirs ensemble, auxquels il avait donné d’abord toute sa confiance, alors le peuple fera main basse sur tous les pouvoirs à la fois, et laissera aux races futures une leçon déplorable mais nécessaire. Toutes ces armées qui s’avancent à pas lents et qui troublent en ce moment notre sommeil, ne causeront alors aucun effroi à plusieurs millions d’hommes combattant chacun pour sa liberté individuelle. Un grand spectacle se prépare pour la fin de l’hiver qui approche.

« Épuisée d’argent, de grains et de munitions, trahie par ses chefs, s’il faut que la nation le soit encore par ses mandataires, vous qui l’aurez trahie ou mal représentée, attendez-vous à être les premières victimes de son désespoir.

« Un phénomène politique doit nécessairement éclater dans peu ; patriotes du Corps législatif, tenez-vous prêts à une catastrophe bien autrement importante que celle qui a fait de vos devanciers des héros d’un jour. Tout nous annonce un événement tel que la Révolution de 1789 n’en aura été que le prélude ; ménagez vos forces pour en soutenir le choc et concourir au dénouement de ce drame sublime mais terrible et qui plongera l’Europe dans la stupeur. »

Étranges et énigmatiques paroles où l’on croirait voir, d’avance, comme en un sombre miroir magique, le 20 juin, le 10 août, le procès et la mort du Roi, la chute des Girondins eux-mêmes, et la Terreur !

Comment le même journaliste, qui constate que la nation est fatiguée peut-il en même temps prédire ces prochains soulèvements révolutionnaires ? Et d’où vient la précision singulière de ces prophéties ? Évidemment quand il annonce un grand spectacle pour la fin de l’hiver, c’est-à-dire pour le