Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/82

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à Duport, à Barnave, sa négociation secrète avec l’étranger en vue d’un congrès.

Le journal de Fersen contient pourtant quelques lignes terribles pour la mémoire des Lameth et de Duport. Il note dans son journal, à la date du 14 février : « La reine me dit qu’ils voyaient Alexandre Lameth et Duport, qu’ils lui disaient sans cesse qu’il n’y avait de remède que des troupes étrangères, sans cela tout était perdu ; que ceci ne pouvait durer, qu’eux avaient été plus loin qu’ils ne voulaient, et que c’étaient les sottises des aristocrates qui avaient fait leur succès, et la conduite de la cour qui les aurait arrêtés, si elle s’était jointe à eux. Ils parlent comme des aristocrates, mais elle croit que c’est l’effet de la haine contre l’Assemblée actuelle, où ils ne sont rien et n’ont aucune influence, et la peur, voyant que tout ceci doit changer, et voulant se faire d’avance un mérite. »

Il serait coupable de décréter des hommes de trahison sur un témoignage aussi isolé et aussi incertain. Marie-Antoinette avait-elle saisi exactement le sens d’un propos amer de Lameth et de Duport ? l’avait-elle exactement rapporté ? Fersen lui-même l’avait-il bien saisi ? Cet appel aux armées étrangères était en contradiction absolue avec toute la politique passée de Barnave : la guerre livrait les modérés soit aux révolutionnaires de gauche, soit aux aristocrates, et ils n’en voulaient point ou ils voulaient la limiter le plus possible. En février, quand la politique de la Gironde parut décidément l’emporter, l’un d’eux laissa-t-il échapper ces propos imprudents ?

Ce passage étrange de Fersen est d’ailleurs en contradiction avec un autre passage du journal du même, à la date du dimanche 8 janvier : « Mémoire de la reine Marie Antoinette à l’empereur : détestable, fait par Barnave, Lameth et Duport ; veut effrayer l’empereur, lui prouver que son intérêt est de ne pas faire la guerre, mais de maintenir la Constitution, de peur que les Français ne propagent leur doctrine et ne débauchent ses soldats. On voit cependant qu’ils ont peur. »

Je suis très tenté de penser que c’est pour s’excuser auprès de l’intransigeant Fersen d’accepter ainsi le concours de Lameth, Barnave et Duport, que la reine, quelques jours après, lui a dit : « Mais vous ne connaissez pas le fond de leur pensée : ils croient, comme vous, qu’il n’y a de salut que par les armées étrangères. »

Enfin je crois pouvoir démontrer (et je le ferai un peu plus loin) que le mémoire très important de Marie-Antoinette, publié par le comte d’Arnete, est bien en effet pour la plus grande part, écrit par Barnave. Or, c’est un mémoire pacifique : c’est celui même contre lequel s’élève Fersen.

En tout cas, il est certain qu’en octobre et novembre 1791, c’est une politique toute constitutionnelle et pacifique qu’ils conseillaient à la cour. Barnave, dans le livre si remarquable dont j’ai cité déjà bien des parties, a