Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/109

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par leurs journaux très influents encore, par une correspondance très étendue, suscitaient ou appuyaient ou combattaient les candidatures. Le journal de Brissot suit les élections jour par jour et avec une attention passionnée. Dès le 6 septembre, il commence à publier les résultats : il dit dans son numéro du 7 :

« On n’a point encore de nouvelles des départements du Midi : on espère voir parmi les députés, les hommes qui ont si bien défendu la liberté ; les calomnies vomies contre eux par d’infâmes crapauds, n’altéreront pas sans doute l’estime du public. »

Il complète, à l’occasion, les listes de candidats dressées par la Gironde : « Nous avons omis, écrit-il le 9 septembre, de placer dans la liste de ces candidats un de ces hommes qui a le plus de titres pour concourir à l’exécution d’une constitution philosophique ; c’est P. Bonneville, auteur de plusieurs écrits philosophiques et politiques. Je le recommande surtout aux électeurs des départements. Il n’a aucun titre pour les intrigants de Paris. Nous recommandons pour la même raison le patriote Réal. »

Le 10 septembre, la Gironde considère la victoire comme certaine, elle se croit assurée d’une majorité qui ne sera ni feuillantine ni robespierriste. Le Patriote Français écrit :

« On commence à concevoir ici les plus hautes espérances de la prochaine assemblée d’après les bons choix faits dans les départements. »

Et il note avec complaisance les élections multiples de plusieurs girondins, notamment de ceux qui dirigent les journaux du parti. À l’extrême-gauche, Robespierre seul est élu deux fois ; à Paris, et dans son département d’origine, le Pas-de-Calais. Danton, Marat, ne sont élus qu’à Paris. Au contraire, les journalistes girondins bénéficient d’élections multiples qui attestent la popularité et l’influence de leurs feuilles. Gorsas est élu dans l’Orne et en Seine-et-Oise ; Brissot est élu dans l’Eure, le Loiret et l’Eure-et-Loir ; Condorcet est élu dans l’Aisne et dans la Gironde. Carra est élu en Saône-et-Loire, dans les Bouches du-Rhône, dans la Charente, l’Eure, le Loir-et-Cher, l’Orne, la Somme. Le Girondin qui a donné au drapeau rouge son symbolisme révolutionnaire a eu, comme on voit, une heure de large popularité.

Ainsi la Gironde ne craignait pas, pendant la période électorale, de faire allusion aux luttes aiguës qui commençaient à déchirer la Révolution. Elle mettait les électeurs des départements en garde contre les calomnies des « brigands », c’est-à-dire des amis de Robespierre et des émissaires de la Commune. Elle n’hésitait pas à opposer les départements à Paris. Mais je répète que dans les départements, ces bruits de guerre entre révolutionnaires ne trouvaient encore qu’un écho léger. Les électeurs soulevés au-dessus d’eux-mêmes par la grandeur des événements et du péril, se demandaient surtout quel gouvernement ils donneraient à la patrie, quels obstacles