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Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/110

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ils opposeraient aux despotes étrangers. Ils apprenaient avec quelque étonnement que quelques-uns des amis de la Révolution étaient en querelle. À Marseille même et dans le Midi provençal où les passions étaient si véhémentes, les esprits si éveillés et si informés, le peuple révolutionnaire ignorait les divisions profondes de Paris. Dans le récit si animé laissé par Barbaroux de la période électorale dans les Bouches-du-Rhône, on saisit à merveille ce prodigieux mélange d’effervescence et de candeur qui caractérisait alors le peuple révolutionnaire de la grande cité et de tous les municipes ardents qui brûlaient autour d’elle comme des foyers secondaires autour du grand foyer. Qu’on n’oublie pas que Barbaroux est passionnément girondin, et qu’au moment où il trace les lignes qu’on va lire il est proscrit. Qu’on n’oublie pas qu’à peine élu à la Convention il fut désavoué, dans sa campagne systématique contre Robespierre, par beaucoup de ceux qui l’avaient élu ; et il se peut qu’il ait, par représailles, donné au mouvement de démocratie extrême qui s’annonçait dès lors à Marseille, des couleurs maratistes trop marquées. Mais ce que je veux noter, c’est qu’à ce moment la flamme si active de la Révolution marseillaise ne se laisse pas diviser. Pour les démocrates du Midi, la querelle de Robespierre et de la Gironde est encore une nouveauté ; et ils s’informent auprès de Barbaroux avec une sorte d’innocence. Barbaroux, même proscrit, même à travers les ombres de mort qui l’enveloppent, semble réchauffé encore et comme enivré par ce prodigieux rayon de vie, par ces souvenirs éclatants et chauds. Le triste et fier Buzot n’avait point gardé de ces éblouissements. Quand Barbaroux revint à Marseille après le Dix Août, pour diriger dans l’intérêt de la Gironde le mouvement électoral, il sembla à tous les démocrates de Marseille qu’il portait en lui l’âme de feu de la Révolution, la vive lumière de la République espérée.

« La nouvelle de mon arrivée s’étant répandue, les meilleurs patriotes accoururent pour m’embrasser. Ma maison était entourée et remplie de citoyens. On amena un corps de musique. On chanta des chansons provençales qu’on avait faites en mon honneur, et l’hymne des Marseillais. Les mêmes témoignages furent prodigués à Rébecqui. Je me souviens toujours avec attendrissement qu’au dernier couplet de l’hymne, lorsqu’on chante :


Amour sacré de la patrie,
Soutiens, conduis nos bras vengeurs ;
Liberté, liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs ;


tous les citoyens se mirent à genoux dans la maison et dans la rue. J’étais alors sur une chaise où l’on me retint. Dieu ! Quel spectacle ! des larmes coulèrent de mes yeux. Si je fus pour eux en ce moment comme la statue de la liberté, je puis m’honorer au moins de l’avoir défendue de tout mon courage…