Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/112

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« Il s’en fallait de beaucoup que la ville ne renfermât que des patriotes semblables à ceux-ci. Une bande de scélérats, vomis des maisons de débauche, dominait Marseille par la terreur. Il n’y avait pour eux ni lois ni magistrats ;… forts du silence du maire… et du délire du peuple toujours prompt à frapper ceux qu’on lui désigne comme ses ennemis, ils pendaient sans obstacle les hommes qui leur déplaisaient, et profitaient de la consternation publique pour rançonner les riches. Dès que nous connûmes ces horreurs, nous songeâmes, Rébecqui et moi, au moyen de les réprimer. Mais, il faut le dire, il n’y avait ni assez de courage dans les hommes de bien, ni assez de vertu dans les corps administratifs pour qu’on pût attaquer de front les brigands. » C’est en instituant un tribunal révolutionnaire que Barbaroux et Rébecqui purent régler et tempérer le mouvement… Des commissaires de l’Assemblée Législative avaient fait arrêter, sur des soupçons très vagues, des citoyens dans les départements voisins de Marseille, où on les avait conduits. Ils eussent été massacrés sans ce tribunal ; mais leur conduite, mieux examinée, n’offrit rien qui ne fût honnête ; et le peuple, en leur apportant des couronnes de lauriers, confirma le jugement qui les avait absous. La colère et la méfiance révolutionnaires du peuple de Marseille n’allaient donc point jusqu’à la frénésie : mais qui ne voit qu’avec cette ardeur de passion il semblait tout prêt à entrer dans la politique de Robespierre et de Marat ? Du reste, chose curieuse, Barbaroux lui-même, mêlé à Paris depuis quelques mois à tout le mouvement révolutionnaire, avait fréquenté Marat ; et il avait été sur le point de l’emmener à Marseille quelques jours avant le Dix Août, quand Marat désespérait de la Révolution et de lui-même. Barbaroux s’en explique avec quelque embarras :

« Un affidé de Marat me conduisit dans un café de la Grève, et de là, chez une femme où la conférence (avec Marat) eut lieu à neuf heures du soir. Il m’engagea surtout à le conduire à Marseille ; il se travestirait, me dit-il, en jockey ; je ne promis rien, je craignais trop de faire un mauvais cadeau à mon pays. Cependant, croyant que sa douleur dérangerait davantage sa tête, je lui donnai quelque consolation. Je pensais alors que ses discours sanguinaires étaient le délire de son esprit ; et non l’épanchement de son âme atroce. Je n’ai bien connu Marat que lorsque j’ai vu signée de lui la lettre par laquelle le Comité de salut public de la Commune de Paris engageait toutes les municipalités de France à imiter les massacres du 2 septembre. »

On comprend l’effort de Barbaroux pour se défendre de toute complaisance pour Marat. Accuser Robespierre de dictature et avoir été le confident de l’homme qui réclamait sans cesse une dictature révolutionnaire, mener avec la Gironde toute la campagne forcenée contre les « massacreurs » de septembre et avoir été l’ami de celui qui les conseilla, la contradiction est un peu violente. Barbaroux allègue en vain que la circulaire du 3 septembre lui ouvrit les yeux pour la première fois. Marat était depuis longtemps