Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/113

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dans la Révolution le théoricien connu du meurtre systématique. La vérité évidente est que Barbaroux, avec sa facilité et sa vivacité d’impressions, n’avait pas résisté à l’attrait du grand nom étrange et redoutable de Marat, et il n’avait été mis en garde contre lui par aucune répugnance intime et profonde. Marat, dans une note de son numéro du 9 octobre, confirme cette sorte de liaison passagère avec Barbaroux :

« Malgré leurs insultes, je n’en veux à aucun de ces messieurs personnellement, pas même à Rebecqui dont le ton est si acrimonieux. J’ai eu des liaisons particulières avec Barbaroux, dans un temps où il n’était pas tourmenté de la rage de jouer un rôle ; c’était un bon jeune homme qui aimait à s’instruire auprès de moi. » Pas plus qu’à Barbaroux lui-même, la figure de Marat et quelques-unes de ses pensées n’auraient fait peur à la démocratie marseillaise. Aussi bien, Barbaroux lui-même nous apprend, dans l’analyse très sévère qu’il fait de l’Assemblée électorale des Bouches-du-Rhône tenue à Avignon, qu’elle applaudit aux massacres de septembre.

« Qu’on se représente une réunion de neuf cents personnes, en général peu instruites, n’écoutant qu’avec peine les gens modérés, s’abandonnant aux effervescents, et dans cette assemblée une foule d’hommes avides d’argent et de places, dénonciateurs éternels, supposant des troubles ou les exagérant, pour se faire donner de lucratives commissions ; des intrigants habiles à semer la calomnie, de petits esprits soupçonneux, quelques hommes vertueux, mais sans lumières ; quelques gens éclairés, mais sans courage ; beaucoup de patriotes, mais sans mesure, sans philosophie ; tel était le corps électoral du département des Bouches-du-Rhône. Un trait le peindra mieux que ce tableau très imparfait. À la nouvelle des massacres du 2 septembre il fit retentir la salle de ses applaudissements. Cependant je parvins à diriger cette assemblée ; mais, je dois le dire, c’est par l’ascendant immense que me donnait l’honorable opinion de Marseille. »

Voilà donc un peuple effervescent et excitable, prêt à aller dans l’action révolutionnaire jusqu’à la politique maratiste. Or, ce même peuple, cette même assemblée n’ont point d’opinion sur Robespierre ; et c’est de Barbaroux qu’ils la reçoivent : « Le hasard me fournit, dans les dernières séances, l’occasion d’énoncer des vérités trop rapidement oubliées. Un Marseillais écrivit de Paris contre Robespierre à la société de Marseille. La société incertaine s’en remit à mon opinion, et me chargea de lui dire ce que je pensais de cet homme. La lettre adressée au président du club électoral fut lue par les secrétaires, et l’Assemblée exigea que je lui manifestasse l’opinion dont je ferais part au club. Je ne balançai pas ; je rapportai les tentatives faites par Robespierre auprès de Rebecqui, de Pierre Baille et de moi, pour s’élever à la dictature par les Marseillais. (C’est l’accusation fort téméraire que Barbaroux portera bientôt devant la Convention.) Pouvait-on croire qu’il ait cessé d’être tourmenté de cette ambition, lorsqu’on voyait par les nouvelles pu-