Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/124

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avez sacrifié un temps si précieux à plaider la cause d’un meurtrier dont l’idée seule des atroces forfaits révolte la nature entière. Elle s’étonnera enfin qu’une Convention nationale, composée d’hommes choisis librement dans tous les états sans distinction, qu’une Convention revêtue des pleins pouvoirs d’une grande nation, et en qui elle fondait ses dernières espérances, que cette Convention qui devait être le dernier boulevard du peuple, en arrachant jusqu’à la dernière racine de l’oppression et de la tyrannie, ait mis autant de lenteur que de faiblesse dans le jugement du tyran le plus barbare et le plus sanguinaire qui fût jamais. » L’accent, malgré une certaine emphase, est vigoureux et brutal. Et nous nous donnerons le plaisir, quand nous assisterons au procès du roi, d’entendre encore sonner cette forte parole ouvrière. Mais ce que je note en ce moment, c’est l’idée que se fait Pointe de la Convention ; sa force vient de ce qu’elle comprend des hommes de tous les états ; l’ouvrier député ne se demande pas si les éléments de la vie nationale sont bien représentés à la Convention dans leur proportion véritable. Qu’un ouvrier, même seul, soit à la Convention, et qu’il ait dépendu de la seule volonté des électeurs d’y en envoyer plusieurs, c’est là en effet un grand événement. Dans aucune assemblée de l’histoire, tous les états n’avaient été représentés : ni dans les assemblées antiques, qui excluaient l’esclave, ni dans les assemblées barbares qui ne comptaient aussi que les hommes libres, ni dans les communes anglaises où seules une aristocratie foncière et une oligarchie bourgeoise avaient accès.

Oui, pour la première fois depuis l’origine des temps, le plus humble des hommes, l’ouvrier manuel, le prolétaire héritier de l’esclave, était appelé à la souveraineté. L’ouvrier de la fabrique moderne appelé à juger le roi, et gourmandant pour ses lenteurs la bourgeoisie incertaine et divisée, l’ouvrier de fabrique, le rude manieur du marteau et du ciseau faisant la loi avec toute la nation et pour toute la nation, c’est un grand spectacle, et, si je puis dire, une Révolution dans la Révolution. Il faut savoir gré à Noël Pointe de l’avoir senti. Une fois encore il insiste sur son origine populaire :

« La dernière ressource des avocats de Louis est l’appel au peuple. Je suis bien loin de vouloir usurper la souveraineté nationale ; ce serait moi-même me ravir mes propres droits, car je suis vraiment du peuple. »

Évidemment, l’ouvrier armurier donne ici au mot peuple un sens plus profond, plus prolétarien, que celui qu’il avait souvent alors dans la langue politique. Il songe aux usines dont il est sorti, aux bons et rudes camarades d’atelier. Et lorsqu’il ajoute :

« Quant à moi, qui tiens à plus grand prix l’estime publique que les richesses et la vie, je ne partagerai point avec de timides collègues la honte et l’infamie qu’ils auront méritées. Je suis venu pur de mon département, je veux y retourner sans tache », il est visible qu’il a encore présentes à la conscience les objurgations de ses amis et compagnons de travail les ouvriers