Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/133

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docile, faisant le bien par amour et sentiment, faisant le mal par égarement.

« Toutes les fois que l’on parle des funestes événements de septembre, on fixe l’indignation publique sur une poignée de vils bourreaux et sur une multitude hébétée ou furieuse égarée. On ne nomme pas les ordonnateurs. Je vous dis franchement, citoyens, que la multitude était trompée et que si l’on veut inspirer une juste horreur de tous les crimes qui furent commis, il faut avoir le courage d’en nommer les auteurs ; il faut nommer ceux qui conçurent cet horrible dessein, qui en dressèrent le plan et qui proposèrent froidement pendant plusieurs jours les moyens d’exécution. Il y en a qui croient qu’il aurait été facile de s’opposer à ce débordement d’atrocités. Je crois que cela était impossible. Il ne s’agissait pas d’un mouvement populaire ; tout était ordonné. Le pouvoir était respecté. Tout obéissait. La présence du maire seul dissipait un attroupement au Temple. La signature d’un procureur de la Commune, d’un secrétaire, faisait rendre les citoyens à la vie et à la société. Je conviens que si l’un des trois pouvoirs qui dominaient avait refusé son assentiment à ce que l’on proposait, ces événements n’auraient jamais souillé la France. Je crois même que si un seul membre de l’un de ces pouvoirs s’y était opposé, il aurait pu seul tout empêcher. »

Il y a dans les propos de Lindet une étrange incohérence. Tantôt il dit que le mouvement, étant ordonné, était irrésistible, tantôt il dit qu’il aurait suffi pour l’empêcher d’un seul membre d’une des trois autorités constituées. Mais son accusation va très loin. Les Girondins, maîtres de la Commission des Douze, Pétion maire de Paris, et tout le ministère, y compris Roland, sont formellement accusés d’avoir commis, organisé ou toléré délibérément les massacres de septembre. Qui donc fera la part des responsabilités ? La responsabilité passive de la Commune et même de l’Assemblée est indéniable.

La responsabilité active de Marat et du Comité de surveillance de la Commune est incontestable aussi, bien qu’il soit malaisé d’en préciser le degré. Mais qui assignera la proportion, en ce sombre événement, des forces de calcul et des forces spontanées ?

Les Girondins ne pouvaient rechercher les « organisateurs » des massacres sans s’exposer à toucher le peuple de Paris. Le mieux était donc de pratiquer une grande politique d’amnistie et de « tirer un voile ».

Ils s’appliquèrent, au contraire, à mettre à nu la blessure et à l’aviver, à surexciter la crainte. Le 10 septembre, à un moment où visiblement les influences humaines ont repris possession de la Commune, où l’autorité de Pétion est raffermie, où Paris est calme, le journal de Brissot approuve une singulière initiative toute d’affolement : «  La section de l’Abbaye, pour prévenir les horribles brigandages qui se méditaient à Paris, et empêcher que les citoyens ne deviennent les victimes du désordre, a proposé à toutes les sections une confédération générale entre elles et tous les citoyens, pour se garantir réciproquement leurs propriétés et leurs vies : chaque citoyen sera