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HISTOIRE SOCIALISTE

force de la Révolution, et il espérait les faire accepter de la Révolution en abondant toujours dans son langage et dans le sens général des événements révolutionnaires.

Danton, né en pleine Révolution et toujours en contact avec la force populaire, suivait en sens inverse le même chemin que Dumouriez et allait à sa rencontre. Il comprenait que la Révolution se perdrait, s’épuiserait en une lutte formidable, si elle ne limitait point elle-même ses entraînements, si elle prétendait, en un coup, renouveler le monde.

Ainsi, tandis que le diplomate Dumouriez cherchait dans les énergies révolutionnaires le moyen de réaliser ses conceptions habiles, le révolutionnaire Danton cherchait à tempérer, par la prudence d’une diplomatie avisé, le mouvement spontané et débordant de la Révolution. Il avait dès lors la même vue que Dumouriez : écraser l’Autriche en l’isolant, désarmer les rancunes de la Prusse, assurer la paix de l’Europe, obtenir la reconnaissance officielle et universelle de la République française, et, dans le calme de la liberté certaine, développer les forces tranquilles de la démocratie.

Mais entre les deux hommes, maintenant rapprochés par une œuvre commune de courage, de patriotisme et de sagesse, il y a un abîme. Baudot a écrit des Girondins « qu’ils n’acceptaient la République que sous bénéfice d’inventaire », c’est-à-dire à condition qu’elle ménageât leur influence et leurs intérêts. Et pour beaucoup d’entre eux le mot est injuste ; mais on peut dire de Dumouriez qu’il n’acceptait la Révolution que « sous bénéfice d’inventaire », tout prêt à la trahir si elle ne servait pas ses calculs d’ambition. Danton, au contraire, appartenait à la Révolution tout entier et jusqu’à la mort.

Le premier effet de la victoire de Dumouriez sur les Prussiens et les Autrichiens, et aussi de l’invasion annoncée en Belgique, fut de décourager et d’effrayer les Autrichiens qui assiégeaient Lille. Ils en avaient ravagé les environs, notamment, comme le note une correspondance du Patriote français, « le gros village de Roubaix ». Et du 29 septembre au 7 octobre, plus de 60,000 boulets tombèrent sur la ville investie, tuant plus de 2,000 habitants, incendiant de vastes quartiers. La population fut héroïque : elle courait après les boulets pour les coiffer du bonnet rouge. Le gouverneur Ruault signifia au duc de Saxe-Teschen qu’il ferait sauter toute la ville plutôt que de la rendre. Le 7 octobre, le siège fut levé.

En Belgique, les succès de Dumouriez furent foudroyants. Le 1er novembre, il adresse une proclamation « à la brave nation belge ». Il lui rappelle les efforts qu’elle a déjà faits pour conquérir la liberté, pour secouer le joug du despotisme autrichien :

« Belges, nous sommes frères : vous avez donné trop de preuves de votre impatience pour secouer le joug, pour que nous ayons à craindre d’être obligés de vous traiter en ennemis. »