Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/240

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reposent toutes sur les mêmes bases : vérité et justice, liberté, égalité, union et fraternité ».

Cette phraséologie christiano-révolutionnaire, sincère chez plusieurs de 1789 à 1791, cachait en cette fin de 1792 un commencement de malaise et d’inquiétude. Le clergé constitutionnel se demandait avec quelque trouble où il serait conduit par le développement logique et inflexible de tout le droit nouveau créé par la Révolution : après avoir séparé aussi profondément la vie civile de la vie religieuse, ne serait-on pas amené à séparer l’État, organe de la vie civile, de l’Église, organe de la vie religieuse ? Au regard de la loi, la vie civile seule existait. Seule elle était réglée par des dispositions légales ; la vie religieuse était toute facultative et ne relevait que de l’intime conscience des hommes. Dès lors, l’Église elle-même devenait logiquement une institution facultative, qui ne devait pas plus être liée à l’État que ne l’étaient les sacrements dont elle était la dispensatrice. Ainsi, entre la Révolution et le clergé constitutionnel la défiance naissait. Le mot du père Duchesne : « Les prêtres seront toujours prêtres, ils ne valent guère mieux les uns que les autres », répondait à la pensée de plus d’un révolutionnaire et éveillait l’inquiétude de plus d’un curé.

La brusque proposition de supprimer le budget des cultes, faite par Cambon, aggrava le malaise. C’est par des raisons de finances qu’à la séance du 13 novembre, il déclara à la Convention que le budget des cultes devait disparaître. Le Comité des finances avait fait de la suppression du budget des cultes la base de toute une réforme fiscale. Cambon parla avec sa véhémence accoutumée :

« Votre Comité des finances qui ne perd pas une minute, qui s’assemble tous les jours, a porté un œil attentif sur beaucoup de dépenses. Il a arrêté hier au soir de vous proposer la suppression de l’impôt mobilier, de l’impôt des patentes et la diminution de quarante millions sur l’impôt foncier (Vifs applaudissements).

« Votre Comité, reprend Cambon non sans ironie, ne s’est pas dissimulé que cette nouvelle serait reçue avec enthousiasme ; mais en même temps il a dû être économe ; et, en supprimant la recette, il a dû supprimer une partie de la dépense. Nous avons calculé la suppression de ces impôts, j’ose le dire immoraux. Il faut dire au peuple : Il est une dépense énorme, une que personne ne croira, une qui coûte 100 millions à la République (Nouveaux applaudissements.) Ayant à nous occuper de l’état des impositions de 1793, nous devions vous proposer cette question : Si les croyants doivent payer leur culte. (Applaudissements.) Cette dépense pour 1793, qui coûterait 100 millions, ne peut être passée sous silence, parce que la trésorerie nationale ne pourrait la payer. Il faudrait donc que le Comité des finances eût l’impudeur de vous demander le sang du peuple pour payer les fonctions non publiques. Votre Comité a regardé cette question sous tous les points de vue. Il s’est