Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/241

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demandé : Qu’est-ce que la Convention ? Ce sont des mandataires qui viennent stipuler pour tout ce que la Société entière ne pourrait stipuler elle-même. Ils ne doivent point fixer des traitements, lorsque chacun y peut mettre directement la quotité. Alors, il s’est dit : Faisons l’application des vrais principes qui veulent que celui qui travaille soit payé de son travail, mais par ceux qui l’emploient. (Nouveaux applaudissements.) Si cette question eût été présentée isolée à la Convention, on dirait : Voyez ces financiers ! ils ne cherchent qu’à supprimer. Mais lorsque nous dirons au peuple : Nous te diminuons de 120 millions, et vous laboureurs, qui payez 100 livres de contribution mobilière ; vous cabaretiers, qui payez 300, 400 livres de patente, si vous avez confiance dans cet ecclésiastique qui a bien servi la Révolution, eh bien ! vous ne serez plus soumis à un corps électoral. Au lieu de lui donner 12 ou 1500 livres, vous lui donnerez 3 ou 4,000 livres. (Vifs applaudissements.)

« Ainsi, citoyens, au lieu de 300 millions, vous n’en aurez que 200 à imposer. Il ne faudra pas tant de moyens coercitifs. Avant 8 jours le rapport sera prêt ; ce rapport si désiré est attendu, j’ose le dire, de tous les prêtres et de tous les Français. »

Cambon était d’un optimisme audacieux. Une partie de l’Assemblée applaudit. Mais il y eut à la Convention même de l’étonnement et de l’inquiétude. Dans le clergé, dans une grande partie du peuple révolutionnaire des campagnes et des villes, l’émoi fut vif. À une première analyse, on ne discerne pas très bien les causes profondes de cette répugnance du peuple à la suppression du budget des cultes. Il semble qu’un raisonnement comme celui de Cambon devrait être décisif, et son amorce souveraine :

« Moi, État, je ne paye plus vos curés ; mais je vous fais remise de 120 millions d’impôts par an, et, avec cette grosse somme que je vous abandonne vous payerez vous-mêmes si cela vous convient, et au prix déterminé par vous, le curé choisi par vous. Sinon, c’est vous qui aurez le bénéfice de la remise. »

Il semble qu’en toute hypothèse l’offre soit séduisante. D’où vient qu’elle ait, en novembre 1792, soulevé les esprits, dans le peuple même qui devait le plus à la Révolution, dans le peuple des campagnes ? Il se peut d’abord qu’il y ait chez le paysan quelque méfiance. On trouvera bien, se dit-il, le moyen de me reprendre, un jour ou l’autre, la part d’impôt dont on semble me faire remise et je resterai chargé des frais du culte. Puis payer est pour le paysan une chose amère, et il lui déplaît qu’on lui fasse savourer trop fréquemment ce breuvage. Si cruel que soit l’impôt, il a au moins cet avantage qu’on peut le payer en une ou deux fois, et qu’on n’en est pas incommodé à propos de chacun des actes de la vie. Au contraire, s’il faut, après avoir payé l’impôt même réduit, payer le curé et surtout payer celui-ci à propos de chacun des actes de la vie où il intervient, il n’y a presque plus de journée qui ne soit