Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/243

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

monte à l’autel ? Vous seriez heureux, au contraire, de donner cette marque de plus de votre adhésion individuelle, de votre foi. Mais parce que la religion n’est pour vous qu’une routine d’autorité, parce qu’elle s’est imposée à vous du dehors, vous avez besoin, pour y croire, de la considérer toujours comme une puissance antérieure à vous, vous avez besoin de la concevoir sur le modèle des institutions sociales fondées sur la force et qui si longtemps ont opprimé votre volonté. Vous avez si peu mis de vous-mêmes dans la religion, que vous craignez, en y mettant en effet quelque chose de vous-mêmes, de la perdre toute. Dès qu’elle n’est plus un mécanisme tout fait, fonctionnant par des ressorts que vous ne touchez même pas, elle n’est plus rien. Elle n’existe que dans la mesure où elle fait de vous des automates ; et comme la liberté n’est pas à l’origine de votre foi, quand on vous appelle à la liberté, on vous appelle au néant.

En même temps, il faut faire comprendre au peuple que si l’Église reste, par le budget, une institution d’État, il n’y a pas déraison pour qu’elle ne soit pas pleinement une institution d’État. Qui dit Église d’État dit, en quelque mesure, religion d’État ; or, tout ce qui implique une restriction de la liberté humaine doit être écarté. C’est par ces hautes raisons, et non par un calcul de profits et pertes qu’il faut agir sur la conscience du peuple. L’appel de Cambon aux cabaretiers qui pourront payer eux-mêmes leur curé parce qu’ils paieront moins de patente n’était pas seulement grossier ; il était, par là même, inefficace.

La Convention put craindre un instant que la motion de Cambon et du Comité des finances eût jeté une partie du clergé constitutionnel dans l’insurrection. Elle fut jugée universellement malencontreuse. Contre elle les partis de la Révolution furent unanimes. Et surtout, quand la Convention vit des prêtres mêlés aux mouvements populaires de l’Eure-et-Loir et de l’Eure, quand les paysans, soulevés contre la cherté croissante des denrées, protestèrent en même temps contre la suppression proposée du budget des cultes, la motion de Cambon fut attaquée et désavouée de toutes parts. Brissot, dans son journal le Patriote Français, (numéro du 14 novembre) se borne à annoncer en termes très brefs, et avec une expression bien vague de sympathie, la proposition du véhément financier :

« Cambon a annoncé des ressources plus consolantes ; bien loin d’augmenter les contributions, le Comité propose d’en supprimer plusieurs. C’est en réduisant les dépenses qu’il veut qu’on rétablisse les finances ; il est une dépense surtout, exorbitante, imphilosophique, immorale, sur laquelle il appelle la sévérité de l’Assemblée : ce sont les 100 millions employés aux frais du culte catholique. »

Et pas un mot de plus. On dirait un sujet gênant pour Brissot, et qu’il évite. Même quand il rend compte de la séance du 30 novembre où Danton parla, Brissot mentionne le discours de Danton, mais il n’en indique point