Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/244

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l’objet essentiel qui était de combattre la motion de Cambon. Quelle joie aurait eue Brissot à critiquer Danton, à railler son modérantisme, son « feuillantisme », si lui-même n’avait pas cru dangereuse et pour le moment impossible la suppression du budget des cultes ! Dans le journal de Carra, même réserve. Je lis dans les Annales patriotiques, (numéro du 14 novembre), un bref résumé du discours de Cambon ; pas un seul mot de commentaire. Et dans le compte rendu de la séance du 30 novembre, pas la moindre allusion au discours de Danton. On dirait que la Gironde en toutes ses nuances, du brissotin Brissot à l’éclectique Carra, fait le silence sur ce problème importun, et, prise entre l’intérêt philosophique et la nécessité politique, attend la suite des événements. Aux Jacobins, il y eut un grand débat sur le budget des cultes, dans la séance du 16 novembre présidée par Jean Bon Saint-André, et dans celle du 17 présidée par Le Pelletier. Chabot « le capucin débridé » et Manuel furent seuls, absolument seuls, à soutenir la proposition de Cambon. Mais la façon dont Chabot la soutint acheva d’indisposer les Jacobins. Il ne se borna pas en effet, à alléguer les raisons décisives de liberté qui imposent la laïcité de l’État moderne. Il laissa entendre que par là, la chute de la religion serait hâtée, et les Jacobins redoutaient précisément que cette crainte se répandît et que le peuple encore facile à fanatiser se soulevât.

« Une religion que tous les citoyens salarient, dit Chabot, est attentatoire à la liberté du peuple, car un article des Droits de l’homme dit : « Nul ne pourra être inquiété pour ses opinions, même religieuses. » Or, une religion que je suis obligé de salarier est contraire à cet article. C’est être inquiété pour ses opinions religieuses que d’être obligé de contribuer aux frais d’un culte. Il est temps que la nation française s’élève à la hauteur qui lui convient. Apprenons au peuple à se passer de prêtres, et bientôt il saura s’en passer. D’ailleurs, que l’on considère combien est onéreux au peuple l’impôt que l’on payait pour les frais de la religion catholique. Ne peut-on avoir une pensée plus économique ? »

Il revint à la charge le lendemain et réfuta, non sans force, les objections qui lui étaient faites. À ceux qui prétendaient, comme le fait aujourd’hui l’Église, que le budget des cultes était la représentation des biens ecclésiastiques nationalisés, il répondait :

« Les biens ecclésiastiques n’appartenaient point au ci-devant clergé, mais bien à la nation française. Les prêtres, à raison des biens immenses qu’ils possédaient, devaient payer une contribution à la nation… Ils s’en sont dispensés pendant des siècles. Le clergé est donc redevable à la nation des sommes immenses qu’il a su soustraire aux charges publiques. Or, ces sommes excèdent la valeur des biens saisis par la nation. La nation pouvait donc s’emparer de ces biens sans accorder aucune indemnité. »

Manuel essaya de démontrer que l’opinion publique révolutionnaire était