Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/245

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préparée à des mesures décisives, qu’elle les attendait, qu’elle les exigerait bientôt, et il lut aux Jacobins la vigoureuse adresse que les « Amis de la liberté et de l’égalité de la commune de la Souterraine » (département de la Creuse), venaient d’envoyer à la Convention. On y remarquera que les signataires de l’adresse ne se bornent pas à demander la suppression du budget des cultes ; ils inclinent visiblement à la suppression légale du culte lui-même. Il semble qu’à cette date les rares partisans de la séparation de l’Église et de l’État étaient surtout partisans de la suppression de l’Église et de l’interdiction légale de la religion. En sorte que la séparation de l’Église et de l’État, telle qu’elle est actuellement comprise, rupture de tout lien entre l’Église et l’État, et liberté du culte, n’était, à ce moment de la Révolution, admise à peu près par personne.

La plupart des révolutionnaires, par calcul politique, par ménagement des habitudes populaires, voulaient maintenir le budget des cultes et la Constitution civile du clergé. Et ceux des révolutionnaires qui voulaient abolir la Constitution civile du clergé et le budget des cultes, voulaient, en réalité, prohiber le culte lui-même.

« Nous payons exactement les impôts, disent les pétitionnaires de la Creuse ; mais c’est pour que le produit serve à consolider notre bonheur. Serait-ce donc encore longtemps pour alimenter la secte sacerdotale, cette secte dont l’intolérance et la perversité sont attestées dans toutes les pages de l’histoire ? Le clergé n’est qu’humilié, il n’est point anéanti. Tremblez qu’un jour il ne reprenne sa première férocité. Le prêtre est toujours prêtre, et c’est ce qu’il ne faut pas ; il doit être citoyen et rien de plus.

« Arrachez donc bien vite du Code des Français régénérés cette Constitution civile qui perpétue l’esprit de fanatisme et d’intolérance, et qui fait croire au prêtre qu’il est une espèce supérieure aux autres Français. On lui donne une juridiction, on lui donne un territoire circonscrit, on lui donne des paroissiens : comment ne serait-il pas intolérant ? Nous avons une conscience, une raison, une religion ; nous ne voulons ni de la conscience, ni de la raison, ni de la religion du prêtre.

« Doit-on tolérer une religion qui, de sa nature, est intolérante ? C’est une question dont la négative sera sans doute décidée dans la Constitution que vous présenterez à l’acceptation des Français. Mais en attendant, que ceux dont l’âme a besoin d’une croyance mystérieuse, que ceux-là payent les prêtres catholiques, on peut le permettre sans de grands dangers ; mais que ceux-là seuls les payent : il est bien juste que chacun paye ses plaisirs. Ils sont heureusement rares, et dès que le prêtre, comme le négociant, sera payé par le consommateur, il se trouvera peu d’imbéciles qui useront de cette denrée. Ne serait-il pas absurde, en effet, que des Français éclairés, des Français libres, payassent des hommes dont la morale est destructive de tout esprit public ?