Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/248

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

injuste envers les missionnaires des bons principes, les martyrs de la loi, les victimes de l’aristocratie… Croyez que le thermomètre de l’esprit public des départements n’est pas au même degré que celui de Paris ; croyez que les opinions religieuses y sont consacrées, et qu’il serait imprudent, peut-être injuste, de les troubler. Il y a des préjugés qu’il faut attaquer avec ménagements et par les armes de l’instruction ; mais l’instruction doit être présentée au peuple comme un jour doux à des yeux délicats. »

Le Roy (d’Alençon) tout en parlant des prêtres en termes insultants, combat aussi le projet du Comité des finances :

« Il est souvent dangereux de vouloir appliquer dans toutes les circonstances les spéculations hardies de la philosophie. Je conviens qu’en principe chaque secte doit payer ses ministres ; mais le peuple n’est point encore assez éclairé pour adopter cette mesure. Vous n’ignorez pas l’influence que les prêtres ont acquise sur le peuple des campagnes et sur une partie de celui des villes. Si vous alliez refuser à ces prêtres le traitement que la nation leur a promis solennellement, alors vous verriez ces hordes sacerdotales se déchaîner contre la République naissante, et peut-être l’étouffer dans son berceau ; vous les verriez secouer de toutes parts le flambeau de la guerre civile, faire perdre à la Convention la confiance dont elle est investie ; et ne croyez pas qu’il nous fût aussi facile de triompher de ces Catilinas tonsurés que des prêtres réfractaires. Le parti des prêtres soi-disant constitutionnels est considérable et puissant ; il leur serait facile de diviser le peuple français et d’opérer la ruine de la liberté. Agissons avec les prêtres comme avec ces animaux féroces qui nous menacent de nous dévorer ; pour apaiser leur rage, nous leur jetons un morceau de pain. Eh bien ! pour que les prêtres ne s’élancent pas sur nous, ne laissons pas oisive leur voracité ; et donnons-leur du pain. Alors ils seront paisibles. Leur intérêt est le dieu qu’ils adorent ; ils seront patriotes, car un prêtre qui a de quoi manger devient moins dangereux. Et dans quel moment vient-on nous proposer une mesure aussi impolitique ? C’est dans un moment où la nation va s’occuper du jugement d’un grand coupable. »

Garnier constate que dans une société ancienne où tant de préjugés et de traditions s’entrelacent, il est impossible d’opérer des changements trop brusques :

« Il faut bien distinguer, dit-il, une société qui se recrée, en quelque sorte, avec ses propres décombres, d’une société neuve dans laquelle les passions, les préjugés sociaux n’ont point changé les heureuses directions de la nature. Si la République française était une société naissante, je serais de l’avis de laisser à chacun le droit de payer les ministres de son culte, mais la nation française, qui a déjà renoncé à bien des préjugés, en conserve cependant un grand. Le fanatisme a encore bien des victimes ; les prêtres ont encore le règne de l’opinion dans une grande partie de la République. »

Basire, revenant à la charge et animé par la contradiction de Chabot,