Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/26

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chrétienne, et organisait en même temps la défense nationale, pendant qu’elle faisait forger des piques, appelait les ouvriers et les femmes à préparer les tentes du camp sous Paris, pendant qu’elle révolutionnait l’organisation militaire en brisant les bataillons de la garde nationale et en faisant de la section tout entière armée l’unité de combat, et qu’elle décidait pour caractériser la Révolution du Dix Août qu’après les mots : l’an IV de la liberté on ajouterait : l’an I de l’égalité, bien des animosités s’accumulaient contre elle, et bien des méfiances. Le maire Pétion souffrait en sa vanité immense du rôle assez piteux qu’il avait joué au Dix Août. Mis sous clef par la Commune révolutionnaire qui, en affectant de le protéger, l’avait annihilé, il sentait bien depuis qu’il n’avait plus qu’une autorité nominale. C’est Robespierre qui, par son influence à la Commune, était le véritable maire de Paris. Et Pétion ne paraissait plus que rarement au Conseil général de la Commune où son amour-propre ne pouvait plus s’épanouir. Il se rapprochait peu à peu de la Gironde. Celle-ci supportait avec une impatience croissante le pouvoir de la Commune. Elle n’osait pas frapper encore, mais elle attendait que la première popularité effervescente de la Commune révolutionnaire fût tombée. Même les Montagnards de la Législative, même les hommes comme Choudieu et Thuriot commençaient à être indisposés par les allures parfois dictatoriales de la Commune de Paris. Si l’on ajoute à cela l’inquiétude répandue par des arrestations qui n’étaient pas toutes légitimes, et l’irritation des commerçants gênés dans leurs affaires par les arrêts sur les passeports et par l’étroite clôture de Paris, on comprendra qu’une sourde opposition contre la Commune grandissait. Entre elle et l’Assemblée législative le conflit était imminent. Funeste désaccord ! Car c’est à ce tiraillement secret de tous les pouvoirs, c’est à cette sorte d’anarchie, c’est à ce défaut de concert entre la Commune et la Législative qu’il faut imputer ces terribles massacres de septembre qui ont si longuement ému contre la Révolution la sensibilité des hommes.

La question qui après le Dix Août passionnait le plus le peuple était celle-ci : Comment seront punis les meurtriers du peuple de Paris, les conspirateurs et les traîtres ? Les fédérés, les révolutionnaires des faubourgs, en marchant au Dix Août contre les Tuileries, « contre Coblentz, » avaient la haute conscience de leur droit. C’est pour la patrie, c’est pour la liberté qu’ils se levaient, et toute résistance du roi parjure était un crime. Or à ce crime il semblait que se fût joint le guet-apens ; et c’est au moment où le peuple croyait, sans effusion de sang, entrer au Château qu’il fut décimé par la décharge des Suisses. Le plan de la contre-révolution lui apparut effroyable et diabolique : laisser passer le peuple et le prendre entre deux feux, celui de la garnison du château et celui de la garde nationale formée derrière les colonnes d’assaut. De là contre les Suisses et leurs officiers, contre l’état-major de la garde nationale, une haine mortelle, et qui demandait du