Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/27

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sang. C’est à peine si les Suisses qui n’étaient pas tombés dans le combat et qui s’étaient réfugiés à l’Assemblée purent être préservés de la colère du peuple. Il y fallut la puissante voix de Danton.

Il y fallut la promesse que tous les conspirateurs allaient être traduits sans délai devant une Cour martiale, jugés et frappés avec la rapidité même du combat. Terrible fut l’appel au calme lancé par la Commune en la journée du 12 : « Peuple souverain, suspends ta vengeance. La justice endormie reprendra aujourd’hui tous ses droits. Tous les coupables vont périr sur l’échafaud. »

Mais ce n’est qu’en grondant que le peuple remettait au bourreau sa vengeance et sa défense. N’allait-on pas ajourner, éluder ? Tel était l’emportement de la passion que Robespierre lui-même, malgré ses habitudes de réserve et de prudence, terminait par de terribles paroles une ardente glorification du 10 août :

« Combien le peuple fut grand dans toutes ses démarches ! Ceux qui avaient trouvé quelques meubles ou quelque argent dans le château se firent une loi de s’abstenir de ces dépouilles prises sur l’ennemi. Ils vinrent les déposer dans l’Assemblée nationale ou dans la Commune. Ils regardèrent comme des larcins cet exercice du droit de la conquête. Ils poussèrent même jusqu’à l’excès ce sentiment de délicatesse. Le peuple immola lui-même ceux qui avaient cru pouvoir s’approprier quelques effets qui avaient appartenu aux tyrans et à leurs complices : il fut cruel en croyant être juste. »

« Grands dieux ! le peuple punit, dans des malheureux, l’apparence seule du crime, et tous les tyrans, qui le font égorger, échappent à la peine de leurs forfaits ! Riches égoïstes, stupides vampires engraissés de sang et de rapines, osez donc encore donner le nom de brigands ; osez affecter encore des craintes insolentes pour vos biens méprisables achetés par des bassesses ; osez remonter à la source de vos richesses, à celle de la misère de vos semblables ; voyez, d’un côté, leur désintéressement et leur honorable pauvreté ; de l’autre, vos vices et votre opulence, et dites quels sont les brigands et les scélérats. Misérables hypocrites, gardez vos richesses qui vous tiennent lieu d’âme et de vertu ; mais laissez aux autres la liberté et l’honneur. Non, ils ont juré une haine immortelle à la raison et à l’égalité ! Quand le peuple paraît, il se cache. S’est-il retiré ? Ils conspirent. Déjà ils renouvellent leurs calomnies et renouent leurs intrigues. Citoyens, vous n’aurez la paix qu’autant que vous aurez l’œil ouvert sur toutes les trahisons et le bras levé sur tous les traîtres. »

Mais ce bras levé, le peuple voulait qu’il s’abaissât. Ce grand mouvement de colère et de passion pouvait cependant être réglé. Il était possible de faire justice, de rechercher et de punir sans délai ceux qui avaient une part directe de responsabilité dans la résistance factieuse d’une cour traîtresse, sans laisser se déchaîner l’instinct du meurtre.