Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/262

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ruine des révolutionnaires français. Où donc est la Révolution à ce moment même, quand elle semble tout emporter ? Je vois subsister l’ancienne chaîne qui me promet l’ancienne servitude. Il n’y aura pas à changer un mot à la pensée et au langage de Robespierre pour en tirer le concordat de Napoléon : dans 1792 se montre déjà 1801. »

C’est, non pas de bien haut, mais de bien loin, et à travers d’étranges partis pris que Quinet voit les choses. Encore une fois, pourquoi s’obstiner à mettre en cause Robespierre seul, à un moment où il était combattu et attaqué de toutes parts et ne disposait sur la Convention que d’une très faible influence ? Chose curieuse, à la Convention même, Robespierre, ne dit pas un mot du projet de Cambon. C’est Danton qui le combattit. C’est Danton qui, le 30 novembre et avant même de monter à la tribune, s’écria : « On bouleversera la France par l’application trop précipitée de principes philosophiques que je chéris, mais pour lesquels le peuple, et surtout celui des campagnes, n’est pas mûr encore. »

Si ceux qui blâment la politique suivie alors par la Convention concentrent toute l’attention sur Robespierre et semblent presque ignorer le rôle décisif de Danton, c’est parce qu’il leur serait difficile d’imputer à celui-ci un esprit de système. Ils seraient donc obligés de reconnaître que ce sont des vues politiques qui ont guidé à ce moment la Convention. Et cela contrarie leur parti pris.

Quinet, fils d’une calviniste, aurait souhaité que la France révolutionnaire se ralliât au protestantisme. Non que lui-même fût un disciple pieux de Luther ou de Calvin. Mais il lui paraissait que le protestantisme donne aux consciences, aux volontés individuelles une énergie dont la France a besoin pour lutter contre le catholicisme et le césarisme, contre les deux formes romaines de l’autorité. Et il pensait aussi que le pays, incapable d’aller brusquement de la tradition catholique à la libre pensée, pourrait passer par la transition protestante, le protestantisme étant une sorte de compromis entre la croyance religieuse et la liberté de l’esprit. Mais Quinet ne voyait pas que ce rêve un peu étrange, qui fut fait aussi par Baudot, ne pouvait se réaliser que par le moyen imaginé par Robespierre. Il n’y avait aucune chance de détacher la France de la religion traditionnelle pour la faire entrer toute entière dans la religion de Luther ou de Calvin. Au contraire, l’Église constitutionnelle, pénétrée peu à peu par l’esprit de la Révolution et inclinant au déisme, pouvait aboutir en effet à une suite de compromis, à une nouvelle Réforme plus hardiment philosophique. Le rapprochement que fait Quinet entre le système ecclésiastique de Robespierre et le Concordat de Napoléon est tout à fait arbitraire et factice. Pour juger sainement la pensée de Robespierre, il faut supposer avec lui la victoire de la Révolution, de la démocratie et de la République. Or, si la Révolution avait pleinement triomphé, si elle n’était pas tombée sous la loi du césarisme,