Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/298

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instruit des rapports commerciaux de son agent avec l’étranger, puisque nous tenions en mains des reçus de sa part, qui consistaient en des traites sur Londres. Nous ne cessions de répéter que Septeuil ne serait pas assez imprudent pour se priver de la ressource de plusieurs millions, quand on le pressait chaque jour pour des payements extraordinaires, à moins qu’il n’eût eu une réponse toute prête.

« Enfin, après avoir revu cent fois les liasses qui renferment les factures et la correspondance relatives à ce commerce, qui s’est fait à partir du mois de juin 1791 jusqu’à la Révolution (du Dix Août), nous sommes parvenus à trouver la pièce probante. »

C’est l’autorisation de Louis à Septeuil que j’ai citée. Valazé grossit beaucoup les choses. D’abord, j’ai beau lire et relire les documents annexés à son rapport, je n’y trouve pas l’emploi de plusieurs millions en opérations de commerce. Je vois bien que le roi demande à M. Duruey, le 24 février 1791, une avance de deux millions ; mais rien n’indique qu’elle fut destinée à des combinaisons commerciales.

C’est le 2 juillet 1792, que je relève les achats les plus forts : 595 691 livres de café, et 234 973 livres de sucre, le tout acheté au Havre et à Nantes et expédié à Hambourg, pour y être consigné chez Poppe et Cie. Il ne me paraît donc pas que le capital consacré par l’agent de Louis XVI à ces sortes d’opérations ait dépassé un million. Mais eût-il été de deux ou trois, quelle influence cela pouvait-il avoir sur la marche générale des prix ? Il n’y a rien là qui ressemble à un plan d’accaparement, à un pacte de famine, mais une prodigieuse inconscience, un divorce complet de la pensée du roi et de la vie nationale. Creuzé-Latouche exagéra en sens inverse lorsqu’il essaya, le 8 décembre, de calmer l’émotion que ces pièces avaient provoquée :

« Vous vous souvenez que dans le rapport de la Commission des Vingt-quatre, qui vous fut fait sur Louis XVI, dans la séance du 6 novembre, on vous dénonça des accaparements de blé : j’en fus fort surpris, moi qui ne crois pas aisément aux accaparements, et qui savais que Louis XVI n’avait pu avoir cette année, en sa disposition, ni les finances, ni les intendants, ni les autorités, ni les baïonnettes dont disposait son aïeul.

« Mais je fus encore surpris de voir le rapporteur nous dénoncer ces accaparements, en y mêlant ses réflexions critiques contre la liberté du commerce des grains, sans nous expliquer en aucune manière comment cet accaparement s’était fait ; je prévis d’avance les maux que produirait une dénonciation aussi vague. Car quand on parle ainsi publiquement d’accaparement sans en expliquer clairement les faits, le peuple, devenant plus inquiet et plus soupçonneux, confond toutes les opérations innocentes et même utiles avec des crimes, et ses erreurs en ce genre ne manquent jamais d’augmenter ses propres calamités.

« Je fus obligé de me livrer à mes propres conjectures sur cet accapare-