Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/362

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grand nombre de négligés. Elles sont particulièrement nuisibles à l’abondance, facilitent tous les accaparements et causent le renchérissement de toutes les denrées, car elles resserrent les productions premières dans un petit nombre de mains, et elles diminuent la concurrence des vendeurs sur les marchés en augmentant dans une même proportion celle des acheteurs. L’homme qui réunit cinq corps de ferme, par exemple, n’en occupe qu’une ; les autres dégradées par les animaux que les magasins de grains qu’on y recèle attirent, tombent en ruines ; il néglige les terres médiocres pour épuiser les meilleures, ne fait que peu ou point d’élèves ; sa basse-cour est rarement au double de ce que serait celle de celui qui n’aurait qu’un corps de ferme. Il tient enfin dans ses mains les moyens de porter à sa volonté l’enchère dans toutes les subsistances. C’est dans la réunion des fermes dans les mains d’un seul locataire qu’est le principe d’une multitude de maux, et c’est ce qu’on n’a pas voulu voir. Il est cependant difficile de concevoir que, dans notre système d’égalité, il puisse être libre à un individu, parce qu’il est riche, de détruire l’industrie de tous ceux qui l’entourent et de nuire ainsi à la population, en s’ emparant à prix d’argent de tout le territoire…

« Et ne craignez point que l’on vous reproche d’attenter à la propriété ; on ne serait pas fondé, car il ne s’agit ici que de prescrire au propriétaire le mode d’user de sa chose de manière à ne pas nuire aux autres. »

Et Beffroy conclut par un projet de décret très précis, au moins en apparence.

« 1o Détruire l’accaparement de la matière productive par une loi qui défende expressément la réunion de plusieurs corps de ferme en une même exploitation ;

« 2o Que cette loi soit obligatoire pour tous à mesure de l’extinction des baux, et frappe de la nullité absolue, tous ceux qui seraient faits à l’avenir d’un corps de ferme au profit de celui qui en tient une ;

« 3o Prononcer contre les propriétaires et fermiers qui seraient reconnus l’avoir enfreinte et contre les officiers publics qui y prêteraient la main, une peine proportionnée à l’importance du délit calculée par ses suites ;

« 4o Ne permettre la vente des subsistances que sur les marchés publics ;

« 5o Abolir toute espèce de commission et l’effet des arrhes pour achats de grains ;

« 6o Établir une surveillance qui mette les magistrats du peuple en état de s’assurer que les subsistances achetées dans un lieu pour être transportées dans un autre ne sont point détournées de leur véritable destination ;

« 7o Prendre des mesures telles que l’état des subsistances soit constaté chaque année et qu’il soit toujours facile de connaître, à tous les instants de l’année, leur proportion avec les besoins des consommateurs ;

« 8o Faire pour la première fois un fonds suffisant pour acheter de l’étran-