Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/363

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ger une quantité de grain équivalente à la consommation, pendant une année, des cantons non agricoles de la République ;

« 9° Obliger les cultivateurs à conserver chaque année, d’octobre à octobre, à la disposition du gouvernement une portion de leur récolte, qui sera déterminée par la loi ; leur en payer le prix de trois mois en trois mois, au prix des quatre saisons, dans le cas où on ne ferait usage de cette portion qu’à la fin de l’année, et achever le payement à l’époque de la livraison, quelle qu’elle soit.

« C’est le moyen d’éviter les frais de location, d’entretien et d’administration des magasins, et les spéculations improbes qui résulteraient de ces magasins, et de se conserver en même temps la ressource des greniers publics. »

C’est la guerre violente à ce que nous avons appelé, d’après Marx, le capitalisme agricole. Ces âpres accusations contre les gros fermiers vaniteux, jouisseurs et cossus, nous les avons entendues déjà dans les rudes cahiers paysans de l’Île de France ; nous en avons encore, deux ans après, recueilli l’écho dans le livre de Lequinio. Mais cette fois c’est à la tribune de la Convention qu’elles retentissent et elles se formulent en projets de loi menaçants. Beffroy déplore que la Constituante ait laissé une aristocratie nouvelle, celle des grands fermiers, absorber une large part du bénéfice de la Révolution. À eux a profité dans une grande mesure l’abolition des dîmes et des droits féodaux, à eux ont été largement ouvertes les enchères des biens nationaux. Et maintenant, par la réunion de plusieurs corps de fermes, ils profitent presque seuls de la formidable hausse du prix des grains. Évidemment, dans la pensée de Beffroy, le premier soin, l’opération préalable de la Constituante aurait dû être de prohiber par la loi les grandes exploitations. Mais quel est le sens exact du mot « corps de ferme ? » Et quelle limite Beffroy assigne-t-il à l’étendue de ce corps de ferme ? Là commence l’arbitraire et le vague. Enfin, malgré la tentative de démonstration de Beffroy, est-il bien certain que l’exploitation morcelée sera aussi puissante, aussi féconde, que l’exploitation étendue ? Et les innombrables petits fermiers qui se substitueront aux grands auront-ils les capitaux nécessaires pour fertiliser le sol et perfectionner la culture ? Beffroy, d’ailleurs, s’arrête à mi-chemin, et la conclusion logique devrait être la loi agraire. La division des fermages devrait aboutir à la division des terres. Car d’abord, le propriétaire fermier, ne pouvant plus régler lui-même le mode selon lequel sa terre sera exploitée, n’y prendra plus aucun intérêt ; il ne sera dès lors qu’un rentier de la culture et un inutile fardeau. En second lieu, il y aurait avantage à stimuler l’activité productrice du petit fermier en en faisant un petit propriétaire. Enfin, si l’on veut empêcher « l’accaparement des grains », leur concentration en un petit nombre de mains, il ne suffit pas de supprimer les grands fermiers ; il faut supprimer les grands propriétaires qui, avec les grains reçus de chacun de leurs petits fermiers, peuvent former de vastes approvisionnements. Ainsi,