Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/37

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il n’a que deux partis à prendre. Le premier est de presser le jugement des traîtres détenus à l’Abbaye, d’envelopper les tribunaux criminels et l’Assemblée, et, si les traîtres sont blanchis, de les massacrer sans balancer avec le nouveau tribunal et les scélérats faiseurs du perfide décret. Le dernier parti qui est le plus sûr et le plus sage est de se porter en armes à l’Abbaye, d’en arracher les traîtres, particulièrement les officiers suisses et leurs complices et de les passer au fil de l’épée. Quelle folie de vouloir faire leur procès ! Il est tout fait ; vous les avez pris les armes à la main contre la patrie, vous avez massacré les soldats, pourquoi épargnez-vous leurs officiers, incomparablement plus coupables ? La sottise a été d’avoir écouté les endormeurs qui ont conseillé d’en faire des prisonniers de guerre. Ce sont des traîtres qu’il fallait immoler sur le-champ, car ils ne pouvaient jamais être considérés sous un autre point de vue. »

Vraiment y avait-il pour la Révolution un si pressant intérêt à abattre, après la victoire, les mercenaires Suisses, qui avaient, suivant la tradition séculaire des hommes de leur pays, fait le coup de feu pour leur maître le roi de France ?

« Citoyens, continue Marat, je vous l’ai présagé et je vous le répète, vos ennemis machinent de nouveau contre vous ; les membres pourris de l’Assemblée, particulièrement l’infernale faction Brissot-Guadet est à leur tête ; leur dictateur (Lafayette) est prêt à paraître. »

Ainsi, massacrer les prisonniers, fermer à la Gironde la Convention, voilà, au 19 août 1792, le programme de Marat. Il se réalisera en deux fois, le 2 septembre 1792 par les massacres, le 31 mai 1793 par l’élimination des Girondins.

Pourtant, depuis deux jours, l’Assemblée législative semblait avoir renoncé au système funeste des ajournements et des délais. Le tribunal criminel était constitué, et pour affirmer sa loyauté et sa vigueur révolutionnaire, il avait dès le 18 août, nommé Robespierre président. Robespierre refusa. C’est, quoi qu’en aient dit ses apologistes, une défaillance peu excusable. M. Hamel, l’historien d’ailleurs si consciencieux et si probe, le loue encore : « Pour des motifs, dit-il, dont tout le monde appréciera la délicatesse, Robespierre refusa d’accepter les hautes fonctions auxquelles il venait d’être appelé, et où il eût été en quelque sorte juge et partie. » C’est là en effet l’excuse alléguée par Robespierre. « J’ai combattu depuis l’origine de la Révolution la plus grande partie des criminels de lèse-nation. J’ai dénoncé la plupart d’entre eux, j’ai prédit tous leurs attentats, lorsqu’on croyait encore à leur civisme ; je ne pouvais être le juge de ceux dont j’ai été l’adversaire, et j’ai dû me souvenir que s’ils étaient les ennemis de la patrie, ils s’étaient aussi déclarés les miens.

« Cette maxime, bonne dans toutes les circonstances, est surtout applicable à celle-ci ; la justice du peuple doit porter un caractère digne de lui, il