Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/385

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port c’est sans savoir les causes de l’émeute et la responsabilité des fonctionnaires en fuite, que Roland demande à la Convention des mesures de répression et de terreur ! Écoutez encore, et jugez du parti pris funeste d’affolement qui conduit la Gironde : « Le courrier, arrêté dernièrement sur la route des armées, a retardé les dépêches de douze heures, quelque précipités qu’aient été les mouvements qu’on s’est donnés pour réparer cette indiscrète maladresse. »

Quoi ! parce qu’au passage d’un courrier quelques citoyens auront eu une défiance indiscrète en effet et maladroite, parce que, hantés par le souvenir de Varennes, par toutes les trahisons du roi, des prêtres et des nobles, irrités contre l’émigration croissante des aristocrates qui vont grossir les rangs de l’ennemi, ils auront arrêté ce courrier qu’ils supposaient porteur de messages suspects, il faut bouleverser la Convention, réclamer des mesures de rigueur, dénoncer Paris ! Car il se trouve, dans le plan de Roland et des Girondins, que Paris doit être rendu responsable de toutes les agitations, même les plus lointaines. C’est parce que la Commune de Paris a été insolente, c’est parce qu’elle a envoyé en province des commissaires, c’est parce qu’elle y a répandu l’esprit d’anarchie, qu’un courrier a été arrêté par quelques citoyens soupçonneux. Paris répand « la défiance ». Que Paris soit suspect. Tant que les nouveaux Conventionnels n’étaient pas encore arrivés à Paris, on cherchait, par les journaux de la Gironde, par les articles de Brissot, par les proclamations tendancieuses de Pétion, par les communications de Roland à la Législative, par ses affiches gémissantes et ses lettres élégiaques, à persuader aux nouveaux élus que Paris n’était plus qu’une caverne de brigands.

À l’épreuve, et dès les premiers jours, il apparut sans doute à bien des Conventionnels qu’il y avait beaucoup d’exagération en ces noirs propos.

D’abord, le jour même où ils se réunirent il n’y eut, malgré les sombres rumeurs auxquelles Pétion complaisamment avait fait écho, aucun attentat sur les membres de l’Assemblée : ni violence, ni menace. Dès le lendemain même de son arrivée à Paris, le Conventionnel Le Bas écrit à son père : — Paris, 21 septembre, l’an 4e de la liberté, 1er de l’égalité. — Je suis arrivé ici hier à cinq heures, mon cher père. J’ai été sur-le-champ faire vérifier mes pouvoirs. La Convention nationale est formée… Paris est plus tranquille qu’on ne me l’avait annoncé. Les travaux du camp près cette ville avancent. Le zèle qui porte les citoyens aux frontières n’est pas ralenti. On ne peut s’en faire une idée juste dans notre froid pays. »

Ainsi les Conventionnels, au lieu d’entrer dans un enfer d’anarchie, dont la fumée ne tarderait pas à couvrir toute la France, trouvèrent la grande ville ordonnée et calme, ardente seulement de patriotisme. Alors la tactique de la Gironde se renversait ; elle faisait peur aux députés des désordres qui se produiraient au loin et où se répercutait l’action dissolvante de la Commune.