Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/410

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qui lui conseillaient le calme, la modération. Le 24 septembre, aux Jacobins, Fabre d’Églantine dit de lui :

« C’est un homme après lequel les Cordeliers sont toute la journée à lui prêcher d’être sage, sans quoi il eût fait bien autre chose que ce qu’on lui reproche. »

Chabot dit aux Jacobins, le 14 octobre :

« Quant au parti qu’on appelle maratiste, je ne le connais pas, et ne puis le comprendre, car Marat est un porc-épic qu’on ne peut seulement pas toucher du doigt, et il n’est donné à personne d’entendre quelques traces de ses idées. »

Il ne paraissait donc pas, même en ce temps, très maniable. Et pourtant avec un grand sens politique, il s’efforce, en ces premières semaines de la Convention, de se surveiller, de se modérer. Il a compris que, s’il ne fournissait point de prétexte aux violences des Girondins, ceux-ci, résolus cependant à le perdre, se perdraient eux-mêmes par leur parti pris. Il les savait inconsistants, étourdis, il voulait leur laisser le loisir de se compromettre. Il s’applique d’ailleurs de bonne foi à défendre la Convention ; il comprend bien, malgré l’influence encore dominante qu’y exercent les rolandistes et brissottins, qu’elle est la suprême ressource de la Révolution et il tâche d’éviter les conflits entre elle et la Commune. À l’égard des généraux, il met le peuple et la Convention en garde contre l’engouement ; mais il s’efforce de leur rendre justice :

« Rétractez-vous donc au sujet de Dumouriez, me disaient hier matin deux collègues (no du 5 octobre), à l’ouïe des avantages qu’il dit avoir remportés sur l’ennemi. Point d’étourderie, mes chers confrères, je vous prie ; j’aurai grand plaisir, sans doute, de lui rendre justice ; mais je l’attends au bout de la carrière ; qu’il taille en pièce les Prussiens, qu’il aille prendre ses quartiers d’hiver à Bruxelles, après avoir favorisé l’insurrection des Flamands, qu’il presse ensuite le supplice de Capet le conspirateur, et compte sur ma rétractation. »

Dans le numéro du 5, il fait alterner l’allégresse et la défiance :

« Les nouvelles qui nous viennent de nos armées continuent d’être favorables. Les lettres de Dumouriez annoncent que les Prussiens sont en pleine retraite… Tant d’heureuses nouvelles ont dû exciter une vive allégresse ; les endormeurs en ont adroitement profité pour combler d’éloges nos généraux et plonger le public dans une sécurité qui pourrait encore devenir fatale et jeter les membres de la Convention hors des bornes.

« Sans doute, il faut aujourd’hui de la confiance dans nos généraux ; mais doit-elle être aveugle après toutes les trahisons dont nous avons été jusqu’ici les victimes ? La prudence ne doit-elle pas toujours marcher à côté ?… Il est certain qu’avant le Dix-Août, les mieux famés n’avaient rien fait qui fût digne d’éloges. Ainsi, tous étaient au moins suspects par leur relation avec l’ex-monarque parjure et conspirateur, par leur inaction, par leur conduite inci-