Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/418

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sensé qui ose faire un crime à Dillon d’avoir cherché à épargner le sang de nos frères ? Où est l’homme sage qui ose trouver mauvais qu’il ait pris des mesures propres à accélérer la retraite des Prussiens, encore trop en état de nous faire beaucoup de mal, ne fût-ce qu’en soutenant par leur présence l’audace ou plutôt la férocité des Autrichiens, et en perpétuant leurs ravages meurtriers ?

« De quelque manière qu’on envisage la conduite de ce général, c’est un grand bien qu’il ait commencé par diplomatiser, comme on dit, car c’est un grand point gagné que de rompre la ligue des despotes conjurés, de détacher Guillaume de François, de nous débarrasser promptement et pour toujours des Prussiens, de n’avoir plus qu’à réduire par le fer les Autrichiens, devenus indignes de tout quartier, de prévenir les nouveaux désastres qu’ils nous apprêtent, et de nous voir bientôt dans une position assez avantageuse pour laisser enfin respirer un peu les Français et s’occuper à réparer leur pertes. »

C’est comme un suprême effort d’impartialité et de sérénité que fait Marat. Oh ! je sais bien que son esprit est encore traversé de noirs soupçons et prompt à l’injustice. La « diplomatie » qu’il glorifie chez Dillon, il l’a condamnée, quelques jours avant, chez Dumouriez (numéro du jeudi 4 octobre) :

« Venons à Dumouriez. La réponse qu’il dit avoir faite au roi de Prusse paraît très adroite au premier coup d’œil ; mais je n’aime point la négociation dans laquelle il paraissait vouloir entrer. Une pareille négociation aurait paru de saison, s’il eût été question de séparer un ennemi formidable de ses alliés. Mais lorsque cet ennemi est réduit à l’extrémité, lorsque la famine et les maladies l’assiègent et le minent, lorsqu’il ne peut plus tenir, la seule négociation est de tomber dessus et de l’exterminer. Or Dumouriez ne pouvait prétexter cause d’ignorance : sa réponse était donc déplacée. Quel était donc son but ? De s’entendre avec les ministres et les royalistes qui s’agitent pour sauver leur patron en ménageant au roi de Prusse le désavantage ( ?) de s’expliquer là-dessus et aux événements le soin de décider la question. »

Ainsi ce qui est sage diplomatie avec Dillon était trahison avec Dumouriez. Et pourtant quand Dillon négociait avec les Prussiens, ils étaient encore plus bas. Cruelles injustices qui, en aigrissant Dumouriez, ne sont pas, hélas ! tout à fait innocentes de la trahison où plus tard misérablement, il s’abîma.

Mais, malgré tout, il était insensé à la Gironde de paraître suspendre toute sa politique à la lutte contre Marat. On dirait que celui-ci, à ce moment, désire une détente ; mais quoi ! à l’heure même où il s’applique à se contenir, où il promet d’être modéré et s’y efforce, les clameurs et les menaces redoublent contre lui. Le voilà qui redescend, désespéré, dans son souterrain, d’où il mènera contre les Girondins une guerre à mort. Le voilà enfoncé de nouveau dans la haine et dans la nuit, et ne concevant plus le relèvement des