Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/424

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c’est-à-dire des policiers bien payés, aux trousses des gens dénoncés par les policiers eux-mêmes : toute une prébende de police soi-disant révolutionnaire. Et que révèlent-ils comme coup d’essai ? Qu’un particulier annonce des desseins violents : ils font même la découverte subtile que Vergniaud et Brissot sont amis de Roland. Et parce que ce « particulier », tout en médisant de Roland, dit du bien de Robespierre, voilà Robespierre compromis ; le flegmatique Garat, cherchant à se couvrir de tous côtés, porte cette basse pièce de police au conseil des ministres ; Roland s’en empare avec un empressement vertueux ; et il la fait lire à la Convention pour charger le dossier contre Robespierre et amorcer l’accusation. C’est misérable, et je ne connais rien dans l’histoire des partis qui soit au-dessous de ce niveau. Quelque implacable que doive être pour elle le destin, la Gironde a perdu ce jour-là le droit de réclamer contre n’importe quelle infamie. Robespierre, appelé à la tribune par ce guet-apens, veut parler contre l’impression du rapport de Roland : il en obtient avec peine le droit. Et dès qu’il veut aborder le fond même du débat, se justifier contre les lâches incriminations policières, la Gironde lui coupe la parole et le couvre de huées. En vain Danton proteste :

« Président, maintenez la parole à l’orateur ; et moi aussi, je la demande après : il est temps que tout cela s’éclaircisse. »

Le président, qui est Guadet, sarcastique et amer, essaie, lui aussi, d’accabler Robespierre, de lier sa défense :

« Robespierre, vous n’avez la parole que sur l’impression du mémoire des ministres, car il ne s’agit pas encore du fond de la question. »

Comme si Robespierre n’avait pas besoin d’établir la fausseté de certaines allégations du rapport pour obtenir que l’impression en fût ajournée ! Le tumulte organisé, systématique, redouble :

« Si vous ne voulez pas m’entendre, dit Robespierre, si vous m’interrompez sous différents prétextes ; et si le président, au lieu de faire respecter la liberté des suffrages, emploie lui-même des prétextes plus ou moins spécieux… »

Quoi ! il insulte le président ! Il a déjà à la tribune l’expression dictatoriale ! Et Guadet, magnanime et venimeux, haineux et fourbe, dit doucereusement :

« Robespierre, vous voyez les efforts que je fais pour ramener le silence : c’est une calomnie de plus que je vous pardonne et que je prie l’Assemblée de permettre de vous pardonner. » (Vifs applaudissements.)

Mais quel abus de la force, à la fois hypocrite et furieux, chez ces hommes qui criaient à la dictature ! Ah ! le vertueux Roland et son digne policier avaient fait de bonne besogne ! Et comme, au travers des clameurs et des huées, Robespierre parvenait à dire enfin :

« Quoi ! lorsqu’il n’est pas un homme qui osât m’accuser en face et arti-