Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/425

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culer des faits positifs contre moi ; lorsqu’il n’en est pas un qui osât monter à cette tribune et ouvrir avec moi une discussion calme et sérieuse… »

Louvet se jeta dans l’arène : il s’avança au pied de la tribune et, défiant Robespierre, il lui cria :

« Je m’offre contre toi, Robespierre, et je demande la parole pour t’accuser. »

C’est la formule des défis de chevalerie. Et Rebecqui et Barbaroux s’écrient alors :

« Et nous aussi, nous allons t’accuser. »

L’orage de cris s’apaise, et la Convention fait silence ; que sortira-t-il de ces défis tragiques et de ce combat ? Un moment Robespierre parut ému, presque troublé. Il avait le courage tenace et l’héroïsme réfléchi. Il n’avait pas cette audace physique et cette force de tempérament qui éclatent soudain dans les grandes crises en paroles souveraines. Il se sentait tout à coup enveloppé, assailli, et comme il se taisait, cherchant sans doute, de son regard un peu myope et incertain, à discerner l’adversaire :

« Oui, Robespierre, répéta Louvet, c’est moi qui t’accuse » et il monta à la tribune comme pour en rejeter à jamais le rival furieusement haï, précipité maintenant au rang des accusés.

« Continue, continue, Robespierre, cria Danton de sa grande voix ; les bons citoyens sont là qui t’entendent. »

Il savait bien, le grand homme, que la folie des haines allait emporter la Révolution si d’emblée on ne résistait pas. Il savait bien qu’au premier coup de cognée qui frapperait un des arbres, et un des plus grands, toute la forêt était menacée ; il communiquait à Robespierre un moment déconcerté sa force virile. Et c’est Robespierre un jour qui guillotinera Danton ! Mais retenons les éclairs de la pensée impatiente qui perce le sombre avenir ; restons dans le cercle des haines, des luttes et des prévisions où s’agitent en ce moment les hommes de 92. Robespierre conclut avec méthode et sagesse, mais sans chaleur et sans éclat, qu’il fallait examiner sérieusement le rapport, en discuter le pour et le contre, et fixer un jour où ses adversaires et lui-même seraient entendus. Danton, lui aussi, voulait un grand et clair débat pour ramener la sérénité dans la Convention : et tout de suite il essaya de ramener à une large concorde révolutionnaire les partis qui se déchiraient :

« Il est temps que nous sachions enfin de qui nous sommes les collègues, il est temps que nos collègues sachent ce qu’ils doivent penser de nous. (Applaudissements.) On ne peut se dissimuler qu’il existe dans l’Assemblée un grand germe de défiance entre ceux qui la composent… (Quelques interruptions). Si j’ai dit une vérité que vous sentez tous, laissez m’en donc tirer les conséquences. Eh bien, ces défiances, il faut qu’elles cessent, et s’il y a un coupable parmi nous, il faut que vous en fassiez justice. (Vifs applaudissements). Je déclare à la Convention et à la nation entière que je n’aime point