Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/427

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mures prolongés). Et où sont donc les hommes qu’on accuse comme des conjurés, comme des prétendants à la dictature ou au triumvirat ? Qu’on les nomme ! Marat ? mais je vous l’ai dit… Oui, nous devons réunir nos efforts pour faire cesser l’agitation de quelques ressentiments et de quelques préventions personnelles, plutôt que de nous effrayer par de vains et chimériques complots dont on serait bien embarrassé d’avoir à prouver l’existence. Je provoque donc une explication franche sur les défiances qui nous divisent ; je demande que la discussion sur le mémoire du ministre soit ajournée à jour fixe, parce que je désire que les faits soient approfondis, et que la Convention nationale prenne des mesures contre ceux qui pourraient être coupables.

« J’assure que c’est avec raison qu’on a réclamé contre l’envoi aux départements de lettres qui inculpent indirectement des membres de cette assemblée. Roland aurait dû envoyer cette lettre où il est question de massacres au ministre de la justice ou à l’accusateur public pour la dénoncer aux tribunaux et là sans doute on aurait reconnu que tous ces projets sinistres sont de vaines chimères (Murmures). Je le déclare nettement, parce qu’il est temps de le dire ; tous ceux qui parlent de la faction Robespierre sont à mes yeux ou des hommes prévenus ou de mauvais citoyens (Applaudissements). »

C’est contre des murmures croissants et des résistances croissantes que parlait Danton. La Convention n’acceptait pas l’ajournement du débat. Elle avait cette hâte presque maladive qu’ont les grandes assemblées d’aller jusqu’au fond des émotions ; la lice était ouverte, que les champions soient appelés. Une impatience aussi d’en finir, de voir clair peut-être, était chez les meilleurs. Et la Gironde avait vu Robespierre troublé, ému ; qui sait si on n’allait pas le terrasser ce soir même ? Évidemment, entre les Roland, et Barbaroux, Louvet, Rébecqui, l’attaque était concertée. Louvet a un long discours tout préparé, et c’est ce discours qu’annoncent le rapport de Roland et la lettre de police. Touchante collaboration entre le ménage vertueux qui reprochait à Danton la liberté de sa vie, et le romancier de Faublas, qui, avant d’agencer de sombres histoires de complots, avait combiné des aventures d’alcôve et de canapé à lasser les plus exigeants ! Mme  Roland dans les Portraits et Anecdotes qu’elle rédigea plus tard à Sainte-Pélagie, en août 1793, a pour Louvet de grandes complaisances :

« Louvet, que j’ai connu durant le premier ministère de Roland, et dont je rechercherai toujours l’agréable société, pourrait bien quelquefois, comme Philopœmen, payer l’intérêt de sa mauvaise mine ; petit, fluet, la vue basse et l’habit négligé, il ne parait rien au vulgaire, qui ne remarque pas la noblesse de son front et le feu dont s’animent ses yeux et son visage à l’expression d’une grande vérité, d’un beau sentiment, d’une saillie ingénieuse ou d’une fine plaisanterie. Les gens de lettres et les personnes de goût connaissent ses jolis romans où les grâces de l’imagination s’allient à la légèreté du style, au ton de la philosophie, au sel de la critique. La politique lui doit les ou-