Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/426

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l’individu Marat (Applaudissements) ; je dis avec franchise que j’ai fait l’expérience de son tempérament ; non seulement il est volcanique et acariâtre, mais insociable. Après un tel aveu, qu’il me soit permis de dire que moi aussi je suis sans parti et sans faction. Si quelqu’un peut prouver que je tiens à une faction, qu’il me confonde à l’instant… Si, au contraire, il est vrai que ma pensée est à moi, que je sois fortement décidé à mourir plutôt que d’être la cause d’un déchirement et d’une tendance à un déchirement dans la République, je demande à énoncer ma pensée tout entière sur notre situation politique actuelle (Applaudissements).

« Sans doute il est beau que la philanthropie, qu’un sentiment d’humanité fasse gémir le ministre de l’intérieur et tous les bons citoyens sur les malheurs inséparables d’une grande Révolution ; sans doute on a droit de réclamer toute la rigueur de la justice nationale contre ceux qui auraient évidemment servi leurs passions particulières au lieu de servir la Révolution et la liberté. Mais comment se fait-il qu’un ministre qui ne peut pas ignorer les circonstances qui ont amené les événements dont il vous a entretenus, oublie les principes et les vérités qu’un autre ministre vous a développés sur ces mêmes événements ? Rappelez-vous ce que le ministre actuel de la justice vous a dit sur ces malheurs inséparables des Révolutions (Murmures).

« Je ne ferai point d’autre réponse au ministre de l’intérieur. Si chacun de nous, si tout républicain a le droit d’invoquer la justice contre ceux qui n’auraient excité des mouvements révolutionnaires que pour assouvir des vengeances particulières, je dis qu’on ne peut pas se dissimuler non plus que jamais trône n’a été fracassé sans que ses éclats blessassent quelques bons citoyens ; que jamais révolution complète n’a été opérée sans que cette vaste démolition de l’ordre des choses existant n’ait été funeste à quelqu’un, et qu’il ne faut donc pas imputer ni à la ville de Paris ni à celles qui auraient pu présenter les mêmes désastres, ce qui est peut-être l’effet de quelques vengeances particulières, dont je ne nie pas l’existence, mais ce qui est bien plus probablement la suite de cette commotion générale, de cette fièvre nationale qui a produit les miracles dont s’étonnera la postérité. »

C’est d’une ampleur et d’une vérité admirables. Quel irréparable malheur qu’il n’ait pu convaincre et concilier ! Il s’applique, sans blesser Roland, à écarter les sombres fantômes dont le ministre s’épouvante lui-même :

« Je dis donc que le ministre a cédé à un sentiment que je respecte ; mais que son amour passionné pour l’ordre et la loi lui a fait voir sous la couleur de l’esprit de faction et de grands complots d’État (murmures), ce qui n’est peut-être que la réunion de petites et misérables intrigues dans leurs objets comme dans leurs moyens (Nouveaux murmures). Pénétrez-vous de cette vérité qu’il ne peut exister de faction dans une République (murmures) ; il y a des passions qui se cachent ; il y a des crimes particuliers, mais il n’y a pas de ces complots vastes qui puissent porter atteinte à la liberté (Mur-