Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/440

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blique un homme né avec le génie de César, ou l’audace de Cromwell, un homme qui, avec le talent de Sylla, en aurait les dangereux moyens, je viendrais avec courage l’accuser devant vous ; un tel homme pourrait être dangereux pour la liberté. S’il entrait ici quelque législateur d’un grand génie, d’un caractère profond ou d’une ambition vaste, je demanderais d’abord s’il a une armée à sa disposition, ou un grand parti dans un Sénat ou dans la République.

« Et si de tels individus avaient laissé des traces de leur plan d’attenter aux droits du peuple ou à la majesté des lois, vous devriez les décréter d’accusation comme des conspirateurs audacieux. Mais des hommes d’un jour, de petits entrepreneurs de révolution, des politiques qui n’entreront jamais dans le domaine de l’histoire, ne sont pas faits pour occuper le temps précieux que vous devez aux grands travaux dont le peuple vous a chargés. »

Et comme pour marquer que tout ce débat était subalterne, Barère proposait comme ordre du jour :

« La Convention nationale, considérant qu’elle ne doit s’occuper que des intérêts de la République, passe à l’ordre du jour. »

Mais déjà il ne suffisait point à Robespierre d’être sauvé, il ne voulait pas être diminué :

« Je ne veux pas de votre ordre du jour si vous y mettez un préambule qui m’est injurieux. »

Ses amis et lui demandent l’ordre du jour pur et simple ; et aux applaudissements des tribunes, c’est l’ordre du jour pur et simple qui est voté. Chose inouïe ! La Gironde eut dans sa défaite si peu de dignité, si peu de sens politique qu’elle s’obstina à réclamer le vote de l’ordre du jour de Barère : comme s’il n’était pas avant tout la condamnation cruelle de la politique girondine qui avait ouvert le débat. Mais la Gironde affolée cherchait avant tout à dissimuler son échec. Elle voulait pouvoir dire au pays que si la Convention n’avait pas poursuivi Robespierre c’était par dédain. Ô contradiction misérable ! Et pourquoi donc alors n’avait-elle pas elle-même donné l’exemple du dédain ? Vraiment, elle n’était plus capable de dire la vérité, ni de la voir, elle n’était plus capable de comprendre la leçon des événements. Brissot dans son compte rendu du Patriote Français équivoque lamentablement. Après avoir parlé « du fastidieux et insignifiant plaidoyer de Robespierre », qui ne fut jamais aussi incisif, aussi varié et aussi éloquent, Brissot dit :

« Un nouveau débat s’est élevé : les uns ne voulaient point d’ordre du jour, parce qu’ils craignaient qu’il justifiât Robespierre, qui ne s’était point justifié ; les autres, et c’était le plus grand nombre, le voulaient parce que cet ordre du jour équivalait à un hors de cause et terminait le mépris de la Convention pour les agitateurs, et c’est dans ce sens qu’il a été adopté par une grande majorité ; la minorité même ne le condamnait que parce qu’elle ne voyait pas ce mépris assez profondément exprimé. »