Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/537

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Dans ses Idées pour servir à l’histoire de l’humanité il voit dans tous les êtres des manifestations variées d’une même force organique et vitale. Il note les analogies qui, de règne à règne et d’espèce à espèce, révèlent la continuité de la nature, et l’homme lui apparaît comme le résumé de toutes les forces et de toutes les formes antérieures. Kant qui, avec son positivisme prudent, répugnait à ces spéculations, lui objecte que l’innombrable multitude des êtres rend ces analogies inévitables.

« Elles n’auraient, dit-il, quelque valeur que si on en concluait la parenté des êtres et des espèces, soit qu’elles naissent les unes des autres, soit qu’elles soient toutes sorties d’un même sein maternel ; mais il ne serait pas juste de prêter à l’auteur une idée aussi monstrueuse. »

Herder était en tout cas à la limite du transformisme si violemment répudié par Kant. Et il assignait au développement humain des causes physiologiques très précises. Il mettait l’Allemagne en garde contre l’illuminisme, contre les rêveries de la mysticité, contre l’exaltation vaine du sentiment, et c’est, selon sa propre expression, une histoire naturelle de l’humanité qu’il voulait écrire.

« Je ne veux pas disait-il, m’occuper du surhomme, de l’ubermensch ; mais seulement de l’homme ; ce sont les lois de la nature humaine que je veux suivre. »

Et il ajoutait : « La raison et la santé sont les deux bases du développement humain ; toutes doctrines, toutes pratiques qui tendent à les diminuer sont inhumaines. »

Il louait, « malgré ses lacunes et la médiocrité de beaucoup de ses plaisanteries », l’Histoire universelle de Voltaire, son Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, parce qu’il y raconte la « pure humanité » et dépassait par là le point de vue de Bossuet et des autres systématiques. C’était donc un esprit robuste, franc et sain. Malgré son admiration pour Lessing, il est sévère pour l’hypothèse des « renaissances » que celui-ci a formulée à la fin de son Éducation de l’humanité. Et pourtant, par une de ces complications qui déconcertent l’esprit français et qui s’expliquent par le génie à la fois traditionnel et novateur de la Réforme, Herder commentait en pieuses paroles les textes de l’Évangile et les miracles mêmes qui y sont contés. Évidemment Herder n’admettait point la matérialité de ces miracles ; et jamais il ne s’y appuie. Toujours il donne au récit un sens symbolique ; par exemple, quand il commente la résurrection du fils de la veuve de Naïm, il note seulement qu’une minute à peine avant le miracle la veuve n’espérait pas ; et il dit : « C’est l’image de ce qui se produit en nous chaque jour ; nous désespérons, nous sommes désolés et arides juste à l’heure où Dieu va susciter la force dans notre cœur et dans notre esprit. » Ainsi le miracle semble se fondre dans l’intimité de notre vie morale. Mais, pas une minute, Herder ne déchire d’une main brutale le symbole un peu enfantin dont la vérité est enveloppée.